Sujets des concours de philosophie 2010
Tous les sujets de philosophie des concours session 2010.
CAPES interne
Pas de CAPES interne de philosophie session 2010.
AGRÉGATION interne
26 & 27 janvier 2010
- Première composition de philosophie : explication de texte
Durée = 6 h 30.
Le candidat a le choix entre les deux textes suivants.
1- Je vise et je perçois un monde. Si je disais avec le sensualisme qu’il n’y a là que des « états de conscience » et si je cherchais à distinguer mes perceptions de mes rêves par des « critères », je manquerais le phénomène du monde. Car si je peux parler de « rêves » et de « réalité », m’interroger sur la distinction de l’imaginaire et du réel, et mettre en doute le « réel », c’est que cette distinction est déjà faite par moi avant l’analyse, c’est que j’ai une expérience du réel comme de l’imaginaire, et le problème est alors non pas de rechercher comment la pensée critique peut se donner des équivalents secondaires de cette distinction, mais d’expliciter notre savoir primordial du « réel », de décrire la perception du monde comme ce qui fonde pour toujours notre idée de la vérité. Il ne faut donc pas se demander si nous percevons vraiment un monde, il faut dire au contraire : le monde est cela que nous percevons. Plus généralement, il ne faut pas se demander si nos évidences sont bien des vérités, ou si, par un vice de notre esprit, ce qui est évident pour nous ne serait pas illusoire à l’égard de quelque vérité en soi : car si nous parlons d’illusion, c’est que nous avons reconnu des illusions, et nous n’avons pu le faire qu’au nom de quelque perception qui, dans le même moment, s’attestât comme vraie, de sorte que le doute, ou la crainte de se tromper affirme en même temps notre pouvoir de dévoiler l’erreur et ne saurait donc nous déraciner de la vérité. Nous sommes dans la vérité et l’évidence est « l’expérience de la vérité » (1). Chercher l’essence de la perception, c’est déclarer que la perception est non pas présumée vraie, mais définie pour nous comme accès à la vérité. Si maintenant je voulais avec l’idéalisme fonder cette évidence de fait, cette croyance irrésistible, sur une évidence absolue, c’est-à-dire sur l’absolue clarté de mes pensées pour moi, si je voulais retrouver en moi une pensée naturante qui fasse la membrure du monde ou l’éclaire de part en part, je serais encore une fois infidèle à mon expérience du monde et je chercherais ce qui la rend possible au lieu de chercher ce qu’elle est.
Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Avant-Propos.
2- – Socrate (imaginant ce que Protagoras pourrait lui opposer) : Pour moi, je l’affirme en effet, il en va de la vérité comme je l’ai écrit : car chacun de nous est mesure de ce qui est et de ce qui n’est pas, mais la différence entre nous est cependant infinie de l’un à l’autre, justement pour cette raison que, pour l’un, c’est ceci qui est et précisément apparaît, mais que, pour l’autre, c’est cela. Et savoir (sophia) et homme savant (sophos), il s’en faut de beaucoup que je nie qu’il y en ait ; mais celui que j’appelle savant c’est l’homme qui, si telles choses apparaissent et sont mauvaises pour l’un ou l’autre d’entre nous, pourrait opérer un changement qui les lui fasse apparaître et être bonnes. Et cette formule, ne va pas à nouveau la traquer au mot près, mais fais plutôt encore un effort pour comprendre plus clairement ce que je dis, et rappelle-toi, par exemple, en effet, ce nous disions précédemment de l’homme malade : les choses qu’il mange lui apparaissent amères et elles le sont, tandis que, pour celui qui est en bonne santé, c’est tout le contraire qui est et apparaît. D’aucun des deux, il ne faut donc faire le plus savant (ce n’est en effet pas possible) ; pas plus qu’il ne faut accuser d’ignorance celui qui est souffrant, parce qu’il a telles opinions, ni déclarer savant celui qui est en bonne santé, parce qu’il en a d’autres ; mais ce qu’il faut opérer, c’est un changement d’un état en l’autre, car l’une de ces deux dispositions est meilleure que l’autre. C’est delà même manière que, dans l’éducation aussi, il y a à opérer un changement d’une disposition donnée à une autre, qui est meilleure ; mais ce changement, le médecin le produit avec des drogues, le sophiste, avec des discours. Pourtant, ce n’est pas qu’à quelqu’un qui avait des opinions fausses, on en ait fait avoir ensuite des vraies : car il n’est possible d’avoir pour opinion, ni ce qui n’est pas, ni autre chose que ce que l’on éprouve, et ce que l’on éprouve est toujours vrai. Mais, à mon avis, à quelqu’un qui, sous l’effet d’une disposition pénible où était son âme, avait des opinions assorties à une telle disposition, on en a, sous l’effet d’une disposition bénéfique, fait avoir d’autres, elles-mêmes bénéfiques : ce sont précisément ces représentations que certains, par inexpérience, appellent vraies ; moi, je dis qu’elles sont meilleures les unes que les autres, mais plus vraies, nullement. Et les savants, mon cher Socrate, il s’en faut de beaucoup que je dise que ce sont des grenouilles ; mais, s’agissant de corps, je dis que ce sont les médecins, s’agissant de plantes, les agriculteurs. Car j’affirme que ces derniers aussi procurent aux plantes, à la place de sensations pénibles, quand l’une d’elles manque de vigueur, des sensations bénéfiques et saines – vraies elles aussi ; cependant que les savants, les bons orateurs, pour ce qui est des cités, sont ceux qui leur font paraitre juste ce qui leur est bénéfique au lieu de ce qui leur est pénible.
Platon, Théétète, 166d - 167c
- Deuxième composition de philosophie (se rapportant au programme de terminale)
Durée = 7 h
Peut-on penser l’œuvre d’art sans référence à l’idée de beauté ?
CAPES externe et CAFEP
10 & 11 mars 2010
- Première composition : dissertation.
Durée = 6h
La technique transforme-t-elle l’existence humaine ?
- Deuxième composition : explication de texte.
Durée = 6h
Qu’est-ce qui nous fait donner notre assentiment à quelque chose ? C’est qu’il nous apparaît que ce quelque chose existe. Car il n’y a pas d’assentiment possible à ce qui nous apparaît ne pas exister. Pourquoi ? Parce que telle est la nature de notre intelligence que nous adhérons au vrai, que nous répugnons au faux et que, dans l’incertitude, nous suspendons notre jugement. Quelle en est la preuve ? « Aie l’impression, si tu peux, que maintenant il fait nuit ». Impossible. « Supprime l’impression qu’il fait jour ». Impossible. « Donne-toi ou retire-toi l’impression que les astres sont en nombre pair ». Impossible. Lorsque l’on donne son assentiment à quelque chose de faux, sache bien que ce n’est pas qu’on ait voulu donner son assentiment au faux (comme dit Platon : « C’est toujours contre son gré qu’une âme se prive de la vérité »), mais c’est qu’on a pris le faux pour le vrai. Et dans les actions, qu’y a-t-il d’analogue à ce qui est ici le vrai et le faux ? Ce qui convient et ce qui ne convient pas, ce qui est utile et ce qui est nuisible, ce qui est conforme à moi-même et ce qui ne l’est pas, et toutes choses semblables.
— Ne peut-on pas penser qu’une chose est utile et pourtant ne pas la choisir ?
— On ne le peut pas.
— Comment alors une femme[1] peut-elle dire : « Je sais bien tout le mal que je vais faire, mais ma colère est plus forte que mes résolutions » ?
— C’est parce qu’elle pense qu’il lui est plus utile de se laisser aller à la colère et de se venger de son mari que de sauver ses enfants. — Oui, mais elle se trompe.
— Montre-lui clairement qu’elle se trompe, et elle ne le fera pas. Tant que tu ne le lui montres pas, à quoi peut-elle conformer sa conduite, hormis à ce qui lui apparaît ? À rien ! Pourquoi donc t’irriter contre elle au motif qu’elle fait erreur sur les choses les plus importantes et que de femme elle est devenue vipère ? N’as-tu pas plutôt pitié, autant que nous l’avons des aveugles et des boiteux, de ceux dont la pensée sur les choses essentielles est aveugle et boiteuse ?
Quiconque a bien nettement dans l’esprit que pour l’homme la mesure de toute action est ce qui lui apparaît (bien ou mal, s’entend : si c’est bien, il est irréprochable ; si c’est mal, il en subit le dommage ; car il est impossible que celui qui se trompe et celui qui en subit le dommage soient différents) ne s’irritera ni ne se fâchera contre personne, n’adressera de reproches ni d’injures à personne, ne haïra ni n’offensera personne.
— De sorte que toutes les actions, grandes ou terrifiantes, ont cette origine : ce qui apparaît ?
— Celle-ci et nulle autre. L’Iliade n’est rien que représentations et usage des représentations. Il apparut à Alexandre qu’il convenait d’enlever la femme de Ménélas, tout comme à Hélène de le suivre. Et si l’apparence avait fait sentir à Ménélas qu’il avait avantage à être privé d’une telle femme, que serait-il arrivé ? Il n’y aurait pas eu d’Iliade, ni non plus d’Odyssée.
Epictète , Entretiens, I, 28, 1-13, trad. E. Bréhier, modifiée.
[1] Médée
AGRÉGATION externe
7, 8 et 9avril 2010
- Première composition.
Durée=7h
Tradition et raison.
- Deuxième composition (sur thème).
Durée=7h
La réflexion sur l’expérience participe-t-elle de l’expérience ?
- Troisième composition (histoire de la philosophie).
Durée=6h
[429 a 10] Pour cette partie de l’âme par laquelle l’âme connait et pense, qu’elle soit séparée, ou encore que, sans être séparée selon l’étendue, elle le soit selon la notion, il convient d’examiner quel est son caractère distinctif, et comment se fait l’intellection. Si donc l’intellection est analogue à la sensation, elle doit être ou une sorte de passion sous l’action de l’intelligible, ou quelque autre chose de ce genre. [15] Il faut donc que cette partie soit impassible, mais capable de recevoir la forme, et qu’elle soit en puissance telle que la forme, sans être cette forme même ; et que l’intelligence se comporte à l’égard des intelligibles comme le sens à l’égard des sensibles. Aussi est-il nécessaire, puisqu’elle pense toutes choses, qu’elle soit « sans mélange », comme dit Anaxagore, de manière à « dominer », c’est-à-dire de manière à connaître ; en effet, [20] ce qui manifeste sa forme propre à côté d’une autre empêche cette forme étrangère d’apparaître et s’interpose. C’est pourquoi cette partie ne peut être dotée d’aucune nature sinon celle-ci : être en puissance. Cela donc qu’on appelle intelligence de l’âme (j’appelle intelligence ce par quoi l’âme pense et croit) n’est en acte, avant de penser, aucun des êtres. Pour cette raison, il n’est pas non plus raisonnable [25] d’admettre qu’elle est mêlée au corps ; car alors elle acquerrait telle qualité, deviendrait chaude ou froide, ou même serait un certain organe, comme un organe sensoriel : mais en fait elle n’est rien de tel. Et ainsi ils ont bien raison, ceux qui disent que l’âme est le lieu des formes, sauf que ce n’est pas l’âme tout entière qui est telle, mais l’âme intellective, et que les formes n’y sont pas en entéléchie, mais en puissance. En outre, que l’impassibilité [30] du sens et celle de la faculté intellective ne soient pas semblables, cela est clair dès lors qu’on considère les organes sensoriels et la sensation. Car sous l’effet [429 b] d’un sensible trop fort, le sens est rendu incapable de sentir, par exemple, à la suite de grands bruits, de percevoir le bruit ; comme, sous l’effet de couleurs ou d’odeurs violentes, il ne peut plus voir ni sentir les odeurs. Mais l’intelligence, lorsqu’elle a eu l’intellection d’un objet d’un objet fort intelligible, n’a pas une moindre intellection des objets inférieurs, mais au contraire une meilleure. Le sens, en effet [5] ne va pas sans le corps, alors que l’intelligence en est séparée. Et une fois qu’elle est devenue chacun de ses objets à la manière dont on le dit du savant qui est tel en acte (ce qui se produit lorsqu’elle peut d’elle-même passer à l’acte), même alors elle est en puissance d’une certaine façon, mais non pas de la même façon qu’avant d’avoir appris et trouvé ; et alors, elle est capable de se penser elle-même.
Aristote, De l’âme, III, 4, 429a10-b9