Philosophie

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Cours d’introduction agrémenté d’exercices

Yannick Bézin, du lycée Gérard de Nerval à Soissons, propose un cours introductif "Pourquoi philosopher ?", agrémenté de divers exercices appuyés sur des textes philosophiques classiques.

Quelle place pour la philosophie dans notre monde ? Est-elle encore utile ? N’est-elle pas concurrencée par la science ? S’il y a concurrence cela impliquerait alors qu’elles répondent au même besoin. Lequel ?

 I. Le problème de la pensée.

Prenons un exemple : des siècles durant la pensée, cette activité qui semble nous caractériser au point de nous différencier de tous les autres êtres vivants (homo sapiens !), était un problème pour philosophe et non pour scientifique.

A. Homo sapiens ou homme neuronal ?

Du point de vue zoologique en effet, notre nom est "homo sapiens" ; tout comme le chien, s’appelle "canis familiaris".

La définition philogénétique (= point de vue du développement des espèces) de l’homme qui repose sur la connaissance de caractères extérieurs est ambiguë dans la mesure où la pensée n’est pas visible. Ne faudrait-il pas modifier la définition biologique de l’homme et parler comme l’a fait Jean-Pierre Changeux, spécialiste du système nerveux, dans l’un de ses livres d’"homme neuronal". La neurologie nous apprend en effet que la pensée dépend entre autres du cerveau, de sa bonne irrigation, etc. Ce n’est qu’au cours de l’histoire de la médecine et de l’anatomie que le rôle du cerveau a été identifié. On est donc d’abord tenté de parler scientifiquement, médicalement de la pensée, et non plus philosophiquement.

Pour Descartes (1596-1650) la pensée est l’activité de l’âme :
Cf. Traité des passions de l’âme (1649).

"Art. 4 Que la chaleur et le mouvement des membres procèdent du corps, et les pensées de l’âme.
Ainsi, à cause que nous ne concevons point que le corps pense en aucune façon, nous avons raison de croire que toutes sortes de pensées qui sont en nous appartiennent à l’âme".

Et l’âme se distingue du corps même si elle y est liée car elle a son siège dans le cerveau :
Cf. Méditations métaphysiques, 6 (1641).

"Je remarque aussi que l’esprit ne reçoit pas immédiatement l’impression de toutes les parties du corps, mais seulement du cerveau, ou peut-être même d’une de ses plus petites parties."

Il distingue donc bien ici l’esprit, c’est-à-dire un principe immatériel qui serait la pensée, de son ancrage matériel dans une partie du corps : le cerveau.
Cette distinction et cette relation de la pensée et du corps semblent justifiées car lorsque nous percevons un objet, c’est autant notre corps que notre pensée qui est en jeu et d’autre part lorsque nous sommes immobiles et que nous nous décidons à nous lever, c’est bien cette pensée particulière qu’est ma volonté qui conduit mon corps, qui le met en mouvement. Le corps peut donc agir sur l’âme et l’âme sur le corps. Il s’agirait bien de deux substances différentes. Une substance est ce qui existe de soi-même et sur quoi repose d’autres éléments.

Descartes explique cette interaction par une réponse qui ne nous satisfait pas complètement : il trouve en effet la solution dans une localisation de l’âme dans "la glande pinéale", c’est-à-dire dans l’hypothalamus :
Cf. Lettre à Meyssonnier du 29 janvier 1640.

"cette glande est le principal siège de l’âme, et le lieu où se font toutes nos pensées."

Il justifie cette localisation par un argument plus rationnel qu’anatomique :

"les autres parties de notre cerveau sont doubles et nous n’avons qu’une seule pensée d’une même chose en même temps."

L’argument nous surprend d’autant plus que nous connaissons aujourd’hui le rôle du cerveau et de l’hypothalamus.

B. L’âge de la science.

En ce sens nous pourrions croire que le temps de la philosophie est passé et que les réponses qu’elle apportait jadis à certaines questions sont aujourd’hui obsolètes du fait même du développement des sciences. L’histoire de nos idées ne manifesterait-elle pas ainsi une sorte d’évolution naturelle vers la science ? Peut-être pourrions nous alors proposer comme Auguste Comte (1798-1857) une histoire de la pensée humaine selon plusieurs stades. Dans son Discours sur l’esprit positif, 1re partie, Comte montre que l’on peut faire une analogie entre le développement d’un individu et celui de l’humanité tout entière selon trois phases.

  • L’état théologique : la tendance spontanée de l’esprit humain est de chercher les causes absolues, c’est-à-dire sans rien qui les cause (une cause sans cause, une cause de soi). Ce premier état se caractérise d’abord par une phase de fétichisme. Par exemple pour les Grecs l’arc-en-ciel était vu comme la manifestation de la déesse Iris, messagère de la déesse Hera, qui en remerciement de ces bons services fut transformée en arc dans de ciel. Une telle explication nous apparaît comme complètement fantaisiste, plus de l’ordre de la fiction, au sens où il semble que ce soit l’imagination et non la pensée qui puisse proposer une telle réponse. Un mythe est en effet un récit fabuleux qui met en scène des êtres symboliques. Cette explication nous paraît erronée mais elle montre néanmoins que les hommes ont observé le phénomène et ne se sont pas contentés de le constater, ils ont cherché à le justifier.
  • L’état métaphysique  : on y retrouve le même désir d’explication mais avec un souci d’argumentation rationnelle et non plus un recours à des agents surnaturels. Ce moment correspond à un travail de destruction des explications théologiques grâce au développement de l’abstraction.
  • L’état positif : la recherche des causes absolues est abandonnée au profit de l’établissement de lois partielles et locales. On ne cherche plus une grande cause abstraite qui permettrait de répondre à la question : pourquoi tel phénomène se produit ? La science apporte une réponse à la question de savoir comment un phénomène précis se produit. Par exemple la loi de la gravitation de Newton, explique les mouvements du système solaire et le phénomène des marées sans qu’on ait besoin de savoir ce qu’est la gravitation.

La philosophie a donc laissé place à la science qui apporte des réponses qui semblent plus satisfaisantes car elles obéissent aux critères de certitude, de précision, de réalisme et d’utilité. Si une telle lecture de l’histoire de la pensée humaine est correcte, alors les philosophes ne seraient plus d’époque ; le cours prend fin maintenant. Car la philosophie serait inutile et peut-être même condamnable, car elle nous mettrait sur le mauvais chemin.

C. La philosophie comme gymnastique

Quelle pourrait alors être la fonction de la philosophie ? Pourquoi êtes-vous là dans un cours de philosophie ?

Faisons-nous l’avocat du diable et le diable s’appelle ici Calliclès. Il s’agit d’un personnage dans un dialogue de Platon (427 av. J.-C.-347 av. J.-C.).
Cf. Platon, Gorgias, 485a-485e :

"[…] faire de la philosophie, c’est un bien, aussi longtemps qu’il s’agit de s’y former ; oui, philosopher, quand on est adolescent, ce n’est pas une vilaine chose, mais quand un homme déjà assez avancé en âge, en est encore à philosopher, cela devient, Socrate, une chose ridicule. Aussi, quand je me trouve, Socrate, en face d’hommes qui philosophaillent, j’éprouve exactement le même sentiment qu’en face de gens qui babillent et qui s’expriment comme des enfants. […] Quand je vois un jeune, un adolescent, qui fait de la philosophie, je suis content, j’ai l’impression que cela convient à son âge, je me dis que c’est le signe d’un homme libre. Et au contraire, le jeune homme qui ne fait pas de philosophie, pour moi, n’est pas de condition libre et ne sera jamais digne d’aucune belle et noble entreprise. Mais si c’est un homme d’un certain âge que je vois en train de faire de la philosophie, un homme qui n’arrive pas à s’en débarrasser, à mon avis, Socrate, cet homme-là ne mérite plus que des coups. C’est ce que je disais tout à l’heure : cet homme, aussi doué soit-il, ne pourra jamais être autre chose qu’un sous-homme, qui cherche à fuir le centre de la cité, la place des débats publiques, "là où, dit le poète [Homère, Iliade, IX, 441], les hommes se rendent remarquables". Oui un homme comme cela s’en trouve écarté pour le reste de sa vie, une vie qu’il passera à chuchoter dans son coin avec trois ou quatre jeunes gens, sans jamais proférer la moindre parole libre, décisive, efficace."

Questions :

  1. Selon Calliclès, à quel moment de la vie la philosophie peut-elle être utile ?
  2. Quelle est alors sa fonction ?
  3. De quoi la philosophie peut-elle nous détourner ?

Cependant est-il aussi sûr que la philosophie ne peut rien pour nous ? Elle nous rendrait donc étranger au monde dans lequel nous vivons, ce monde dont la science nous explique le fonctionnement. Cette opinion à propos de la philosophie est ancienne, Socrate de son temps était déjà moqué par un auteur comique, Aristophane, dans Les Nuées.

D. La mesure de la philosophie

Pourtant Platon pose certaines question qui nous poussent à mettre en doute le propos virulent de Calliclès :
Cf. Euthyphron.

"Socrate - Si nous nous disputons, toi et moi, à propos de nombre, sur la plus grande de deux quantités, ce différend nous rendrait-il ennemis et nous fâcherions-nous l’un contre l’autre, ou bien, nous mettant à compter, ne serions nous pas vite d’accord sur un tel sujet ?
Euthyphron - Certainement…
S. - Et si nous nous disputions sur la plus ou moins grandeur d’un objet, ne mettrions nous pas vite un terme à notre différend en recourrant à la mesure ?
E. - C’est vrai.
S. - Et s’il s’agissait d’un poids plus ou moins lourd, nous n’aurions, je pense, qu’à recourir à la balance pour nous mettre d’accord.
E. - Sans doute.S. - Quel est donc le sujet de dispute impossible à régler qui pourrait susciter entre nous la haine et la colère ? Peut-être ne l’aperçois-tu pas tout de suite. Écoute-moi donc et vois si ce ne serait pas le juste et l’injuste, le beau et le laid, le bien et le mal. Ne sont-ce pas là des choses à propos desquelles nos dissentiments et l’impossibilité d’arriver à les juger exactement suscitent à l’occasion la haine entre nous, entre toi et moi et tous les hommes en général ?"

Questions :

  1. Socrate établit une distinction entre deux types de questions. Sur les unes, il est possible de s’entendre pour savoir qui est dans le vrai, tandis que sur les autres la polémique semble impossible à trancher. Quelles sont ces questions ?
  2. Grâce à quoi est-il possible de trancher le premier type de questions ?
  3. A quel moyen peut-on recourir pour répondre aux questions du deuxième type ?

En distinguant des objets qu’il est possible de quantifier et d’autres qu’on ne peut que qualifier, Socrate détermine le champ de la science et celui de la philosophie. Il s’agit dans les deux cas d’évaluer mais il ne s’agit pas des mêmes valeurs : les unes seront numériques, mais que seront les autres ? On ne peut se disputer longtemps pour savoir lequel de nous est le plus grand : il suffit de sortir un mètre, c’est-à-dire de reconnaître une mesure commune, que personne ne viendra mettre en doute car elle sera égale pour tous et de procéder à la mesure. Il s’agit alors d’une quantité qui permet de répondre à la question. Mais pour savoir quel est le plus beau ou le plus juste d’entre nous, est-ce de l’ordre de la quantification ? Ne sommes nous pas conduits à la polémique à propos de ces questions qui portent sur les valeurs ? Qu’est-ce en effet que la beauté ou la justice ? Et la science a-t-elle quelque chose à nous dire sur ces questions ? Ni la beauté, ni la justice ne se mesurent.

Il y a donc une place pour la philosophie car certaines questions ne semblent pas être du recours de la science, alors même que ces questions semblent importantes. Si l’on ne sait pas en effet ce qu’est la justice, comment peut-on rendre la justice ? L’organisation des hommes en société nécessite des tribunaux car nous ne respectons pas toujours les uns les autres, mais si nous ne connaissons pas ce qui est juste, comment organiser la justice, c’est-à-dire l’administration judiciaire ? Ces questions sur lesquelles va porter la philosophie sont donc aussi importantes, peut-être même plus, que celles sur lesquelles la science va porter : que m’importe finalement de savoir si c’est la terre qui tourne autour du soleil ou si c’est le contraire, cela ne change rien au fait que le soleil se lève toujours pour moi à l’Est et se couche à l’Ouest. Sans aller jusqu’à renverser l’ordre de priorité entre science et philosophie, peut-être faut-il le rééquilibrer.

Le discours philosophique peut donc bien prendre place à côté des autres discours. Il a sa légitimité propre car il porte sur des questions que les autres domaines de connaissances ne peuvent accaparer. On peut donc continuer le cours.

Cependant je dois vous avouer tout de suite quelque chose. Je ne vais pas pouvoir vous enseigner la philosophie. Pourquoi ? Cf. Kant (1724-1804)...

 II. La pensée du problème.

A. Comment apprendre à philosopher ?

Cf. Kant, Annonce du programme des leçons de M. E. Kant durant le semestre d’hiver 1765-1766 :

"La philosophie n’est véritablement qu’une occupation pour l’adulte, il n’est pas étonnant que des difficultés se présentent lorsqu’on veut la conformer à l’aptitude moins exercée de la jeunesse. L’étudiant qui sort de l’enseignement scolaire était habitué à apprendre. Il pense maintenant qu’il va apprendre la philosophie, ce qui est pourtant impossible car il doit désormais apprendre à philosopher."

Kant distingue en effet deux types de connaissances :

  • Les connaissances historiques (ex datis). Elles ont pour origine des faits, elles ne sont pas des créations de la raison, c’est-à-dire de notre faculté de connaître. Il s’agit par exemple de l’histoire. En tant que science, elle porte sur des événements qui ont eu lieu il y a plus ou moins longtemps. On peut dire en ce sens que l’historien ne crée pas ses connaissances, il les organise en montrant quels événements peuvent rendre raison d’autres événements. Kant prend aussi l’exemple de l’anatomie : c’est un domaine de connaissances qui consiste à prendre appui sur un certain nombre d’observations.

En ce qui concerne les connaissances historiques, il est possible de se contenter de les mémoriser. Elles sont rationnelles : l’historien ne nous raconte pas des histoires, il s’agit d’une connaissance objective, c’est-à-dire qui ne dépend pas de celui qui la prononce. Mais du point de vue de celui qui l’acquière, elle est subjective dans le sens où elle dépend de celui qui la retient.

  • Les connaissances rationnelles (ex principiis) sont celles qui sont produites par notre raison. La raison est chez Kant, une faculté de notre esprit qui a pour fonction de nous détacher des expériences sensibles que nous pouvons faire et de produire des idées. Les mathématiques sont des connaissances rationnelles car nous ne voyons jamais un nombre ou une figure géométrique, ce sont des concepts que nous produisons et qui nous aident à organiser nos expériences sensibles quotidiennes.

A la lumière de cette double distinction, la philosophie peut apparaître comme une connaissance historique : il y a la philosophie de Platon, celle de Descartes, celle de Kant même. Comprendre ce qu’on dit les philosophes, est-ce faire de la philosophie ? Non, c’est seulement rendre possible l’exercice de la philosophie. Pourquoi ?

Cf. Kant, Leçons de métaphysique :

" Un philosophe doit savoir philosopher, et pour cela il ne lui est pas nécessaire d’apprendre la philosophie, sous peine d’être incapable de porter un quelconque jugement. On croit par exemple que tout ce que dit Platon est vrai car on ne peut remettre en question l’acquis. […] Si nous apprenons à philosopher, nous ne pouvons alors considérer tous les systèmes de la philosophie que comme […] objets de l’exercice de nos facultés critiques. […] Jamais on ne devient philosophe sans la connaissance, mais jamais les connaissances ne font à elles seules un philosophe […]"

Philosopher ne consiste pas à faire de l’histoire de la philosophie. Cela pourrait même être dangereux. Kant souligne en effet dans cet extrait le risque du principe d’autorité : si Platon l’a dit, cela ne doit pas être remis en question. Pourquoi ? Mais parce que c’est Platon qui l’a dit !!! Au contraire, il faut philosopher à partir de Platon, examiner ce qu’il a pu dire et juger par soi-même de la valeur de ce qu’il a pensé. Kant a en effet, comme devise "Sapere aude !", c’est-à-dire "Ose savoir !" Il faut donc sortir de sa situation de dépendance intellectuelle, de tutelle mentale : il faut prendre position.

Car vous allez en effet être confrontés cette année à une diversité de réponses à des problèmes philosophiques. C’est ce qui distingue la philosophie des mathématiques. La vérité du discours scientifique repose sur le principe du tiers exclu : 2+2 ne peut faire que 4 et rien d’autre. Or en philosophie il n’y a pas qu’une définition de ce qu’est la liberté, ou la beauté ou la justice, etc. Toute position philosophique n’est que la conséquence secondaire d’un acte premier et plus essentiel : poser un problème. La vertu philosophique majeure est en effet, comme le soulignait Platon dans son Théétète, l’étonnement. Si vous êtes blasé, si vous considérez que tout va de soi, si vous n’avez pas sur les lèvres des questions du type : "Mais pourquoi dit-on que le régime démocratique est le meilleur ?", "L’histoire que l’on nous apprend peut-elle nous aider à déterminer notre avenir ?", "Est-il possible de n’obéir qu’à ses désirs ?", questions que nous aborderons cette année, alors vous n’entrerez pas en philosophie. Si le monde dans lequel vous vivez et vous y compris, ne vous surprend pas et ne vous questionne pas, alors vous n’aurez pas encore pris le chemin de la philosophie.

Voir des problèmes, des questions que l’on ne peut trancher rapidement, telle est peut être la nature de la pensée qui philosophe. Ce qui compte c’est donc de philosopher, c’est-à-dire de penser par soi-même. Comment s’y exercer ? En essayant de comprendre quels problèmes et quelles réponses les philosophes ont apporté. Se former à la philosophie, c’est-à-dire apprendre à philosopher par la philosophie, c’est-à-dire en passant par l’étude des philosophes.

B. Il faut sortir de la caverne.

Connaître les philosophes est donc une condition nécessaire mais pas suffisante pour philosopher. Philosopher consiste donc à poser des questions, à voir des problèmes. Or celui qui questionne, qui interroge, c’est celui qui ne sait pas et qui a conscience de ne pas savoir. Celui qui en effet ne se sait pas ignorant ne va pas chercher à sortir de son ignorance. Celui qui se croit bien pourvu en savoir, ne va pas chercher, il va rester sur son quant-à-soi, sur sa suffisance de faux savant : il n’est pas ignorant, il est inconscient. Au contraire, celui qui questionne, se questionne avant tout sur lui-même et sur sa position. Seul donc celui qui manque de savoir, peut le désirer et le rechercher. Ainsi seul celui qui n’est pas savant, va pouvoir désirer, c’est-à-dire aimer le savoir et le rechercher. Or telle est l’étymologie du mot philosophie : philein = aimer, sophia = le savoir.

Philosopher consiste donc à s’étonner de notre monde (et peut-être au premier chef de son existence : LA question philosophique consiste à se demander pourquoi il y quelque chose plutôt que rien ?) et de ce qui le constitue, nous y compris et à sortir de l’évidence. Cette recherche est mise en scène par Platon dans un récit allégorique au livre 7 de La République.
Cf. Platon, La République, livre VII : "l’Allégorie de la caverne".

SOCRATE (S) - Maintenant, représente-toi notre nature selon qu’elle a été instruite ou ne l’a pas été, sous des traits de ce genre : imagine des hommes dans une demeure souterraine, une caverne, avec une large entrée, ouverte dans toute sa longueur à la lumière : ils sont là les jambes et le cou enchaînés depuis leur enfance, de sorte qu’ils sont immobiles et ne regardent que ce qui est devant eux, leur chaîne les empêchant de tourner la tête. La lumière leur parvient d’un feu qui, loin sur une hauteur, brûle derrière eux ; et entre le feu et les prisonniers s’élève un chemin en travers duquel imagine qu’un petit mur a été dressé, semblable aux cloisons que des montreurs de marionnettes placent devant le public, au-dessus desquelles ils font voir leurs marionnettes.
GLAUCON (G) - Je vois.
S. - Imagine le long du mur des hommes qui portent toutes sortes d’objets qui dépassent le mur ; des statuettes d’hommes et d’animaux, en pierre, en bois, faits de toutes sortes de matériaux ; parmi ces porteurs, naturellement il y en a qui parlent et d’autres qui se taisent.
G. - Voilà un étrange tableau et d’étranges prisonniers.
S. - Ils nous ressemblent. Penses-tu que de tels hommes aient vu d’eux-mêmes et des uns et des autres autre chose que les ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne qui leur fait face ?
G. - Comment cela se pourrait-il, en effet, s’ils sont forcés de tenir la tête immobile pendant toute leur vie ?
S. - Et pour les objets qui sont portés le long du mur, est-ce qu’il n’en sera pas de même ?
G. - Bien sûr.
S. - Mais, dans ces conditions, s’ils pouvaient se parler les uns aux autres, ne penses-tu pas qu’ils croiraient nommer les objets réels eux-mêmes en nommant ce qu’ils voient ?
G. - Nécessairement.
S. - Et s’il y avait aussi dans la prison un écho que leur renverrait la paroi qui leur fait face ? Chaque fois que l’un de ceux qui se trouvent derrière le mur parlerait, croiraient-ils entendre une autre voix, à ton avis, que celle de l’ombre qui passe devant eux ?
G. - Ma foi non. S. - Non, de tels hommes ne penseraient absolument pas que la véritable réalité puisse être autre chose que les ombres des objets fabriqués.
G. - De toute nécessité.
S. - Envisage maintenant ce qu’ils ressentiraient à être délivrés de leurs chaînes et à être guéris de leur ignorance, si cela leur arrivait, tout naturellement, comme suit : si l’un d’eux était délivré et forcé soudain de se lever, de tourner le cou, de marcher et de regarder la lumière ; s’il souffrait de faire tous ces mouvements et que, tout ébloui, il fût incapable de regarder les objets dont il voyait auparavant les ombres, que penses-tu qu’il répondrait si on lui disait que jusqu’alors il n’a vu que des futilités mais que, maintenant, plus près de la réalité et tourné vers des êtres plus réels, il voit plus juste ; lorsque, enfin, en lui montrant chacun des objets qui passent, on l’obligerait à force de questions à dire ce que c’est, ne penses-tu pas qu’il serait embarrassé et trouverait que ce qu’il voyait auparavant était plus véritable que ce qu’on lui montre maintenant ?
G. - Beaucoup plus véritable.
S. - Si on le forçait à regarder la lumière elle-même, ne penses-tu pas qu’il aurait mal aux yeux, qu’il la fuirait pour se retourner vers les choses qu’il peut voir et les trouverait vraiment plus distinctes que celles qu’on lui montre ?
G. - Si.
S. - Mais si on le traînait de force tout au long de la montée rude, escarpée, et qu’on ne le lâchât pas avant de l’avoir tiré dehors à la lumière du soleil, ne penses-tu pas qu’il souffrirait et s’indignerait d’être ainsi traîné ; et que, une fois parvenu à la lumière du jour, les yeux pleins de son éclat, il ne pourrait pas discerner un seul des êtres appelés maintenant véritables ?
G. - Non, du moins pas sur-le-champ.
S. - Il aurait, je pense, besoin de s’habituer pour être en mesure de voir le monde d’en haut. Ce qu’il regarderait le plus facilement d’abord, ce sont les ombres, puis les reflets des hommes et des autres êtres sur l’eau, et enfin les êtres eux-mêmes. Ensuite il contemplerait plus facilement pendant la nuit les objets célestes et le ciel lui-même - en levant les yeux vers la lumière des étoiles et de la lune - qu’il ne contemplerait, de jour, le soleil et la lumière du soleil.
G. - Certainement.
S. - Finalement, je pense, c’est le soleil, et non pas son image dans les eaux ou ailleurs, mais le soleil lui-même à sa vraie place, qu’il pourrait voir et contempler tel qu’il est.
G. - Nécessairement.
S. - Après cela il en arriverait à cette réflexion, au sujet du soleil, que c’est lui qui produit les saisons et les années, qu’il gouverne tout dans le monde visible, et qu’il est la cause, d’une certaine manière, de tout ce que lui-même et les autres voyaient dans la caverne. G. - Après cela, il est évident que c’est à cette conclusion qu’il en viendrait.
S. - Mais quoi, se souvenant de son ancienne demeure, de la science qui y est en honneur, de ses compagnons de captivité, ne penses-tu pas qu’il serait heureux de son changement et qu’il plaindrait les autres ?
G. - Certainement.
S. - Et les honneurs et les louanges qu’on pouvait s’y décerner mutuellement, et les récompenses qu’on accordait à qui distinguait avec le plus de précision les ombres qui se présentaient, à qui se rappelait le mieux celles qui avaient l’habitude de passer les premières, les dernières, ou ensemble, et à qui était le plus capable, à partir de ces observations, de présager ce qui devait arriver : crois-tu qu’il les envierait ? Crois-tu qu’il serait jaloux de ceux qui ont acquis honneur et puissance auprès des autres, et ne préférerait-il pas de loin endurer ce que dit Homère : "être un valet de ferme au service d’un paysan pauvre", plutôt que de partager les opinions de là-bas et de vivre comme on y vivait.
G. - Oui, je pense qu’il accepterait de tout endurer plutôt que de vivre comme il vivait.
S. - Et réfléchis à ceci : si un tel homme redescend et se rassied à la même place, est-ce qu’il n’aurait pas les yeux offusqués par l’obscurité en venant brusquement du soleil ?
G. - Si, tout à fait.
S. - Et s’il lui fallait à nouveau donner son jugement sur les ombres et rivaliser avec ces hommes qui ont toujours été enchaînés, au moment où sa vue est trouble avant que ses yeux soient remis - cette ré-accoutumance exigeant un certain délai - ne prêterait-il pas à rire, ne dirait-on pas à son propos que pour être monté là-haut, il en est revenu les yeux gâtés et qu’il ne vaut même pas la peine d’essayer d’y monter ; et celui qui s’aviserait de les délier et de les emmener là-haut, celui-là s’ils pouvaient s’en emparer et le tuer, ne le tueraient-ils pas ?
G. - Certainement.

Questions :

1. Le récit oppose deux lieux très différents : lesquels ? Sont-ils sans lien ? La caverne et ses illusions est-elle une prison complètement close ? Quelle conséquence pouvez vous en tirer quant à la possibilité pour l’homme d’atteindre la vérité ?

2. Pourquoi les prisonniers prennent-ils les ombres pour la réalité ? A quoi leur connaissance est-elle limitée ?

3. Entre la caverne et le feu passe un chemin, le prisonnier qui est jeté hors de la caverne parcours ce chemin : qu’y gagne-t-il ? Que perd-il ?

4. Quel rapport les ombres projetées sur la paroi de la caverne entretiennent-elles avec les statuettes ? Les connaissances des prisonniers sont-elles complètement fausses ?

5. Comment réagissent les prisonniers au discours de celui est qui sorti de la caverne ? Quelles sont les conséquences sociales d’une affirmation contraire aux croyances partagées ?

Le tableau ci-dessous répond aux questions et expose les différents niveaux de lecture d’un texte.

Niveau zéro : "ce qui est dit" Niveau 1 : "c’est-à-dire" Niveau 2 : "donc" Niveau 3 : "mais si…alors"
Activité mentale : observation Activité mentale : analyse Activité mentale : déduction Activité mentale : problématisation
Résultat : résumé, paraphrase Résultat : explicitation des arguments et de la thèse. => explication Résultat : portée de la thèse => problème dont il est question Résultat : enjeu de la thèse => problème dont il est question
1. Platon décrit une prison souterraine dans laquelle il ne fait pas complètement noir parce qu’elle ouvre largement sur la lumière.

2. Des prisonniers sont étroitement ligotés dans la caverne et disposent d’un champ de regard très étroit ainsi que d’un éclairage indirect assez faible, celui d’un feu.

3. Le seul décor que nous décrit Platon est une route entre le feu et les prisonniers, bordée d’un mur derrière lequel passent des hommes chargés d’ustensiles et de statues divers.

4. Grâce à la lumière du feu les prisonniers peuvent voir sur le mur les ombres que projettent ces hommes derrière le mur.

5. Les prisonniers sont d’accord sur la réalité des ombres, et n’en doutent jamais.
1. Le fait que la caverne soit souterraine signifie qu’il existe deux mondes, l’un supérieur et inconnu, l’autre inférieur, présentant le caractère paradoxal d’une prison non close.

2. Les prisonniers n’ayant jamais rien connu d’autre que la caverne, sont soumis aux chaînes de l’habitude, de leur milieu et des évidences premières, car la source de la connaissance leur est inaccessible par les moyens immédiats et ordinaires.

3. La route signifie à la fois la distance et la relation : il y a un passage vers le monde supérieur ; mais le mur et les hommes à la fois cachent et révèlent le savoir accessible dans le monde inférieur.

4. Il n’y a que deux niveaux de connaissance accessibles dans le monde inférieur : celui des ombres, doublement illusoire, et celui des objets qui sont portés sur le chemin, copies du réel véritable.

5. Dans un groupe, le consensus se fait sur une même définition du réel et du vrai, généralement limitée à l’expérience la plus commune.
1. le monde que nous connaissons n’est pas le "vrai" monde, la vérité est ailleurs ; mais elle nous est accessible et nous ne sommes donc pas condamnés à l’illusion ou à l’erreur.

2. La connaissance première est une limite ; par son immédiateté elle freine ou empêche la recherche, donc accéder à la vérité suppose une conversion de l’attitude, un effort et du temps.

3. L’homme a en lui l’obstacle à la vérité et le moyen de le surmonter ; il dépend d’abord de ceux qui savent ce qu’il ne sait pas. Tout détenteur de savoir dispose donc d’un pouvoir qu’il est en mesure d’exploiter en ne le partageant pas complètement.

4. L’accès à la connaissance suppose qu l’on franchisse deux degrés d’ignorance, celui des fictions et celui de la perception sensible, pour atteindre le niveau de la réalité : le monde supérieur contient donc les modèles des objets sensibles.

5. La recherche du vrai met en marge de la société ; l’accès au vrai suppose donc une subversion de l’évidence officielle, c’est-à-dire de l’évidence la plus commode.
1. Si la vérité est ailleurs, c’est qu’elle est une et indépendante de l’homme ; mais si l’homme peut y accéder, il faut alors, ou qu’il la possède d’avance, ou qu’il en possède les critères. Dans les deux cas il ne semble pas libre de juger du vrai.

2. Si l’évidence première n’est qu’illusion, c’est que la vérité doit être rectification : la connaissance est alors une ascèse constante de l’esprit, se critiquant et mettant en doute ses hypothèses.

3. Mais si l’homme a en lui la vérité comme une lumière naturelle qui le rend apte au savoir, ce qui l’en empêche c’est alors l’obstacle socioculturel, le défaut de l’institution enseignante, ou le monopole du savoir accaparé par quelques-uns.

4. Si la connaissance sensible ne peut être négligée puisqu’elle constitue le tremplin vers l’intelligible, elle est cependant imparfaite : le savoir apparaît alors comme une ligne, orientée vers la rationalité croissante, au détriment du subjectif, de l’intuitif, du poétique.

5. Mais si la recherche du vrai est subversive, elle peut faire courir des risques à l’ordre social en dérangeant l’idéologie qui le préserve ; le philosophe apparaît alors comme un gêneur, un déviant, qui doit être réduit au silence.

Ce texte est une allégorie, c’est-à-dire que ce qui est dit ne doit pas être compris comme une description d’une situation réelle. Une allégorie est un récit qui signifie plus que ce qu’il dit : il dit (legein) autre chose (allos). Dans La République, Platon s’interroge sur ce qu’il faut enseigner aux futurs dirigeants politiques. Afin de dresser un programme d’éducation, il faut avant tout s’interroger sur ce qu’est la vérité et quels sont les différents types de connaissances. Et en effet cette allégorie fait suite à une distinction très précise qui va nous permettre de voir ce sur quoi va porter la philosophie et ce dont il faut s’arracher pour philosopher.

Le sensible Le sensible L’intelligible L’intelligible
Ontologie Images Ombres Reflets Choses matérielles : naturelles ou fabriquées Objets mathématiques Formes, Idées
Épistémologie Conjecture Illusion Croyance, foi Connaissance discursive Intelligence dialectique
Règne de l’opinion Règne de l’opinion Règne de la pensée Règne de la pensée

Cette ligne est divisée en deux segments inégaux : l’un est donc plus important que l’autre mais cette importance n’est pas quantitative. C’est une différence ontologique, c’est-à-dire une différence d’être : ce qui est intelligible existe plus fortement que ce qui est sensible.

Pourquoi nos sensations ne nous font-elles rien connaître ?

Sur tout ce que nous pouvons sentir, nous ne pouvons avoir que des opinions.
Prenons une image : nos yeux nous en livrent une impression qui ne permet pas toujours d’en dire la nature.

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Les deux segments sont de longueur identique, seul le sens des flèches change d’orientation : ce simple changement donne l’impression que le premier segment est plus court que le second.

Prenons un autre exemple : je peux trouver que la pièce est froide alors qu’un autre trouvera au contraire qu’il y fait chaud. Nos sensations ne sont que la conséquence de notre relation à notre milieu. La pièce n’est ni chaude ni froide : de mon point de vue d’être sentant elle m’apparaît d’une certaine manière, alors qu’elle apparaîtra différente à un autre.
Cf. Descartes, Méditations métaphysiques, 1, le morceau de cire.

Il faut donc distinguer réel et apparence, c’est-à-dire vérité et mensonge ou illusion. Le réel ne doit pas être nécessairement identifié au matériel. Qu’est-ce en effet que la matière si elle nous est livrée par nos sens et que ces informations sont contradictoires ? Nos sens ne nous livrent peut-être que des apparences, des illusions que nous prenons pour vraies. Nous jugeons qu’il y a identité entre ce que nous percevons d’une chose et ce qu’elle est. Or en y réfléchissant nous avons conscience que cette identification est un peu hâtive. Ce qui fait la nature d’une chose n’est peut être pas dans ce que nous en appréhendons par nos sens. C’est pourquoi Platon propose une alternative : ce qui fait la nature d’une chose n’est pas sensible mais seulement intelligible : c’est une idée. Ainsi la définition de ces termes est paradoxale chez Platon car ce qui est réel ce sont les Idées et ce qui est sensible n’est qu’illusion. Le réalisme de Platon est idéaliste : ce qu’il y a de plus réel n’est pas sensible car ce sont les Idées.

Philosopher consiste donc à atteindre la vérité. En grec vérité se dit alétheia qui est en fait un mot privatif : a-léthéia, c’est-à-dire sans voile ou dévoilé. Penser une chose, quelle qu’elle soit ne consiste donc jamais à se contenter de ce qu’elle nous fait comme impression. Il est donc nécessaire de se débarrasser de ses préjugés, de ses opinions toutes faites ou bien des idées des autres pour pouvoir penser quoique se soit.

 III. Le but de L’effort.

Récapitulons :

  • La philosophie a une place comme discours
  • Elle consiste à penser le monde et à ne pas se contenter de nos impressions et de nos opinions
  • Pour cela les philosophes peuvent nous aider

Bien, mais dans quel but ? Simplement parce que l’examen du bac comporte une épreuve de philosophie ?

Non. La philosophie a depuis son origine un rapport étroit avec le bonheur.
Cf. Descartes, Lettre-Préface aux Principes de la philosophie :

" Et outre cela que, pour chaque homme en particulier, il n’est pas seulement utile de vivre avec ceux qui s’appliquent à cette étude, mais qu’il est incomparablement meilleur de s’y appliquer soi-même ; comme sans doute il vaut beaucoup mieux se servir de ses propres yeux pour se conduire, et jouir par même moyen de la beauté des couleurs et de la lumière, que non pas de les avoir fermés et suivre la conduite d’un autre ; mais ce dernier est encore meilleur que de les tenir fermés et n’avoir que soi pour se conduire. C’est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher ; et le plaisir de voir toutes les choses que notre vue découvre n’est point comparable à la satisfaction que donne la connaissance de celles qu’on trouve par la philosophie ; et, enfin, cette étude est plus nécessaire pour régler nos mœurs et nous conduire en cette vie, que n’est l’usage de nos yeux pour guider nos pas. Les bêtes brutes, qui n’ont que leur corps à conserver, s’occupent continuellement à chercher de quoi le nourrir ; mais les hommes, dont la principale partie est l’esprit, devraient employer leurs principaux soins à la recherche de la sagesse, qui en est la vraie nourriture ; et je m’assure aussi qu’il y en a plusieurs qui n’y manqueraient pas, s’ils avaient espérance d’y réussir, et qu’ils sussent combien ils en sont capables. Il n’y a point d’âme tant soit peu noble qui demeure si fort attachée aux objets des sens qu’elle ne s’en détourne quelquefois pour souhaiter quelque autre plus grand bien, nonobstant qu’elle ignore souvent en quoi il consiste. Ceux que la fortune favorise le plus, qui ont abondance de santé, d’honneurs, de richesses, ne sont pas plus exempts de ce désir que les autres ; au contraire, je me persuade que ce sont eux qui soupirent avec le plus d’ardeur après un autre bien, plus souverain que tous ceux qu’ils possèdent. Or, ce souverain bien considéré par la raison naturelle sans la lumière de la foi, n’est autre chose que la connaissance de la vérité par ses premières causes, c’est-à-dire la sagesse, dont la philosophie est l’étude."

Questions :

  1. Pourquoi ne peut-on se contenter d’écouter l’avis des philosophes ? Grâce à quelle comparaison Descartes justifie ce jugement ?
  2. Justifier la remarque de Descartes sur la limite de cette comparaison ? Quel but Descartes assigne-t-il à la philosophie ?
  3. Qui est en mesure de philosopher ? Citez une phrase montrant qu’il y a pour Descartes un désir inné de philosopher ?
  4. Définissez "lumières de la foi" et "premières causes".
  5. A la lumière des réponses aux questions précédentes, définissez le souverain bien.

C’est grâce à une comparaison avec la vue (que nous avons déjà rencontré dans l’allégorie de la caverne) que Descartes justifie son propos. Écouter l’avis des philosophes serait comme d’être aveugle et de se laisser conduire par un autre. Autrement dit ce n’est pas entrer en philosophie que de ne pas faire l’effort de penser par soi-même. Cependant Descartes a bien conscience que la comparaison de la vue et de la pensée autonome ne peut être pleinement satisfaisante car ce que nous découvrons grâce à cette dernière est bien plus satisfaisant que ce qu’une perception directe peut nous livrer. La philosophie a en effet pour but de poser les principes qui vont pouvoir orienter notre vie. Elle est une cartographie du monde qui va nous permettre de nous orienter et d’agir en connaissance de cause, autrement dit d’être des individus libres et responsables. Pour cela il faut se convaincre que tout homme peut philosopher et en éprouve même le besoin. Même ceux en effet qui sont "si fort attachée aux objets des sens", ont conscience que la vérité est ailleurs mais ne savent comment la chercher. Le contentement ne peut se trouver dans les biens matériels mais dans la recherche du souverain bien, c’est-à-dire d’un bien qui soit bon uniquement en lui-même et non pour ce qu’il peut nous apporter. Pour s’engager dans cette recherche il convient en dehors des "vérités de la foi", c’est-à-dire de toute croyance qui se présente comme une vérité dogmatique à laquelle il faut croire sans la remettre en question, d’établir par le seul "bon sens", autrement dit la raison, quelles sont les "premières causes", c’est-à-dire les principes les plus évidents, qui ne dépendent que d’eux-mêmes mais qui permettent de déduire les autres (nous verrons qu’il s’agit chez Descartes du cogito). La philosophie engage donc à un travail exigeant mais ô combien fructueux puisqu’il peut nous conduire au contentement que seule la pensée peut apporter.

Mise à jour : 29 décembre 2011