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Une introduction à la psychanalyse par Hitchcock

Yannick Bézin, du lycée Léonard de Vinci à Soissons propose de faire travailler les élèves sur le film La maison du docteur Edwardes de Hitchcock, qui semble être un véritable exposé de l’inconscient freudien à partir d’un cas clinique.

Chers collègues,
Alfred Hitchcock s’est beaucoup intéressé à la psychanalyse et l’influence de la théorie-thérapie freudienne se fait sentir dans nombre de ses scénarii (Psychose bien évidemment mais aussi Pas de printemps pour Marnie ou encore La corde). Il m’a semblé intéressant de faire travailler mes élèves sur le film Spellbound (en français La maison du docteur Edwardes) car il me semble être un véritable exposé de l’inconscient freudien à partir d’un cas clinique. Certes, il n’est pas difficile de relever ici ou là des erreurs ou des imprécisions qui tournent à la caricature, mais ce schématisme me semble constituer l’intérêt pédagogique du film. J’ai pour ma part prolongé l’étude de ce film en donnant à travailler à la maison un extrait de l’article de Freud intitulé "Une difficulté de la psychanalyse" et datant de 1917, que je donne ici en annexe.
En espérant que ce travail puisse être utile au vôtre, je reste à votre disposition pour toute question ou commentaire.

SPELLBOUND (LA MAISON DU DOCTEUR EDWARDES)

Hitchcock : SPELLBOUND

Réalisation : Alfred Hitchcock.

Production : David O’Selznick.

Scénario : Ben Hecht d’après le roman de Francis Beeding.

Musique : Miklos Rozsa.

Séquence du rêve : décors de Salvador Dali filmé par William Cameron Mandiez.

Avec :

Ingrid Bergman (Docteur Constance Petersen)

Gregory Peck (docteur Edwardes et John Ballantine)

Leo G. Caroll (Le docteur Murchison)

Michael Chewkov (le professeur).

1945. 1 H 51

Questions :

1. Décrivez la méthode utilisée en psychanalyse telle qu’elle est décrite dans la première scène.

2. Relevez les symptômes qui révèlent les troubles de John Ballantine.

3. De quoi souffre-t-il ?

4. Pourquoi a-t-il oublié ce qu’il a fait ? Quelle est la fonction de l’oubli dans ce cas ? Est-ce un véritable oubli ?

5. Expliquez pourquoi le personnage du détective de l’hôtel est une manière pour Hitchcock de se moquer de la psychologie.

6. Quelle est la méthode utilisée par le docteur Peterson pour essayer de résoudre le problème de John Ballantine ?

7. Comment réagit-il dès qu’elle commence à faire ressurgir ses souvenirs ?

8. Pourquoi résiste-t-il ?

9. Quel est l’intérêt d’un rêve pour le psychanalyste ? Que faut-il faire pour le comprendre ?

10. Quelle est la véritable source du problème dont souffre John Ballantine à la suite de l’accident ?

11. Qu’est-ce qui perd le docteur Murchison ?

12. Au terme du film comment peut-on comprendre la citation de Shakespeare qui l’ouvrait : « La faute n’en est pas à nos étoiles ; elle en est à nous-mêmes » ?

Annexe :

texte de Freud "Une difficulté de la psychanalyse" (1917) (traduction Bertrand Feron, recueilli dans L’inquiétante étrangeté et autres essais, Folio Essai)

"Dans certaines maladies et justement, il est vrai, dans le cas des névroses que nous étudions, il en va autrement. Le moi se sent mal à l’aise, il rencontre des limites à son pouvoir à l’intérieur de sa propre maison, l’âme. Des pensées surgissent soudain dont on ne sait d’où elles viennent ; et l’on ne peut rien faire pour les chasser. Ces hôtes étrangers semblent avoir eux-mêmes plus de pouvoir que ceux qui sont soumis au moi ; ils résistent à tous les moyens par ailleurs éprouvés, par lesquels la volonté exerce son pouvoir, ne se laissent pas démonter par la réfutation logique, restent imperméables aux énoncés contraires de la réalité. Ou bien surviennent des impulsions qui ressemblent à celles d’un étranger, si bien que le moi les dénie, mais il ne peut s’empêcher de les redouter et de prendre à leur encontre des mesures préventives. Le moi se dit que c’est une maladie, une invasion étrangère, il accroît sa vigilance, mais il ne peut comprendre pourquoi il se sent si étrangement paralysé.

Il est vrai que la psychiatrie, dans de telles occurrences, conteste que des esprits malins étrangers aient pénétré dans la vie psychique ; mais par ailleurs, elle se contente de hausser les épaules en disant : dégénérescence, disposition héréditaire, infériorité constitutionnelle ! La psychanalyse, elle, entreprend d’élucider ces cas de maladie étranges, elle se lance dans des investigations minutieuses et de longue haleine, élabore des concepts auxiliaires et des constructions scientifiques, et elle peut finalement dire au moi : « Rien d’étranger n’est entré en toi, c’est une partie de ta propre vie psychique qui s’est dérobée à ta connaissance et à la domination de ta volonté. C’est pourquoi d’ailleurs tu es si faible pour te défendre ; tu combats avec une partie de tes forces contre l’autre partie ; tu ne peux pas mobiliser toutes tes forces comme contre un ennemi extérieur. Et ce n’est même pas la part la plus mauvaise ou la plus insignifiante de tes forces psychiques qui s’est ainsi opposée à toi et est devenue indépendante de toi. La responsabilité, je dois le dire, t’en incombe entièrement. Tu as surestimé tes forces quand tu as cru que tu pouvais faire de tes pulsions sexuelles ce que tu voulais, et que tu n’avais pas besoin de faire le moindre cas de leurs intentions. Alors elles se sont révoltées, et ont suivi leurs propres voies obscures pour échapper à la répression, elles se sont fait droit d’une manière qui ne peut plus te convenir. Comment elles y ont réussi, et par quelle route elles ont cheminé, cela, tu ne l’as pas appris ; c’est seulement le résultat de ce travail, le symptôme, que tu ressens comme souffrance, qui est parvenu à ta connaissance. Tu ne le reconnais pas alors comme un rejeton de tes propres pulsions réprouvées, et tu ne sais pas qu’il s’agit là de leur satisfaction substitutive.

Mais ce qui rend tout ce processus possible, c’est seulement le fait que tu es également dans l’erreur sur un autre point important. Tu es assuré d’apprendre tout ce qui se passe dans ton âme, pourvu que ce soit assez important, parce que, alors, ta conscience te le signale. Et quand dans ton âme tu n’as reçu aucune nouvelles de quelque chose, tu admets en toute confiance que cela n’est pas contenu en elle. Davantage, tu vas jusqu’à tenir "psychique" pour identique à "conscient", c’est-à-dire connu de toi, malgré les preuves les plus patentes que dans ta vie psychique, il doit en permanence se passer beaucoup plus de choses qu’il n’en peut accéder à ta conscience. Accepte donc sur ce point de te laisser instruire ! Le psychique en toi ne coïncide pas avec ce dont tu es conscient ; ce sont deux choses différentes, que quelque chose se passe dans ton âme, et que tu en sois par ailleurs informé. Je veux bien concéder qu’à l’ordinaire, le service de renseignement qui dessert ta conscience suffit à tes besoins. Tu peux te bercer de l’illusion que tu apprends tout ce qui revêt une certaine importance. Mais dans bien des cas, par exemple dans celui d’un conflit pulsionnel de ce genre, il est en panne, et alors, ta volonté ne va pas plus loin que ton savoir. Mais dans tous les cas, ces renseignements de ta conscience sont incomplets et souvent peu sûrs ; par ailleurs, il arrive assez souvent que tu ne sois informé des événements que quand ils sont déjà accomplis et que tu ne peux plus rien y changer. Qui saurait évaluer, même si tu n’es pas malade, tout ce qui s’agite dans ton âme et dont tu n’apprends rien, ou dont tu es mal informé ? Tu te comportes comme un souverain absolu qui se contente des renseignements que lui apportent les hauts fonctionnaires de sa cour, et qui ne descend pas dans la rue pour écouter la voix du peuple. Entre en toi-même, dans tes profondeurs, et apprends d’abord à te connaître, alors tu comprendras pourquoi tu dois devenir malade, et tu éviteras peut-être de le devenir. »

C’est ainsi que la psychanalyse a voulu instruire le moi. Mais ces deux élucidations, à savoir que la vie pulsionnelle de la sexualité en nous ne peut être domptée entièrement, et que les processus psychiques sont en eux-mêmes inconscients, ne sont accessibles au moi et ne sont soumis à celui-ci que par le biais d’une perception incomplète et peu sûre, reviennent à affirmer que le moi n’est pas maître dans sa propre maison."

Mise à jour : 15 décembre 2015