Philosophie

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{{{CAPES interne}}} (12 février 2001) {{Composition de philosophie (étude ordonnée d'un texte)}} {Durée = 6 h.} "Le mot de LIBERTÉ désigne proprement l'absence d'opposition (j'entends par opposition : les obstacles extérieurs au mouvement), et peut être appliqué à des créatures sans raison, ou inanimées, aussi bien qu'aux créatures raisonnables. Si en effet une chose quelconque est liée ou entourée de manière à ne pouvoir se mouvoir, si ce n'est à l'intérieur d'un espace déterminé, délimité par l'opposition de quelque corps extérieur, on dit que cette chose n'a pas la liberté d'aller plus loin. C'est ainsi qu'on a coutume de dire des créatures vivantes, lorsqu'elles sont emprisonnées ou retenues par des murs ou des chaînes, ou de l'eau lorsqu'elle est contenue par des rives ou par un récipient, faute de quoi elle se répandrait dans un espace plus grand, que ces choses n'ont pas la liberté de se mouvoir de la manière dont elles le feraient en l'absence de ces obstacles extérieurs. Cependant, quand l'obstacle au mouvement réside dans la constitution de la chose elle-même, on a coutume de dire qu'il lui manque, non pas la liberté, mais le pouvoir de se mouvoir : c'est le cas lorsqu'une pierre gît immobile ou qu'un homme est cloué au lit par la maladie. D'après le sens propre (et généralement reçu) du mot, un HOMME LIBRE est celui qui, s'agissant des choses que sa force et son intelligence lui permettent d'accomplir, n'est pas empêché de faire celles qu'il a la volonté de faire. Quand au contraire les mots de libre et de liberté sont appliqués à autre chose que des corps, c'est un abus de langage. En effet, ce qui n'est pas susceptible de mouvement, n'est pas susceptible de se heurter à un obstacle. Donc, quand on dit par exemple : la route est libre, on n'évoque pas par là une liberté qui appartiendrait à la route, mais celle des gens qui y passent sans se trouver arrêtés. Et quand on parle d'un libre don, on n'entend pas parler d'une liberté que posséderait le don lui-même, mais de celle du donateur, qui n'était pas tenu de le donner par l'effet d'une loi ou d'une convention. De même, quand on parle librement, il ne s'agit pas de la liberté de la voix, ou de l'élocution, mais de celle de l'homme qu'aucune loi n'a obligé à parler autrement qu'il n'a fait. Enfin, de l'usage de l'expression libre volonté, on ne saurait inférer aucune liberté de la volonté, du désir, ou de l'inclination, mais seulement la liberté de l'homme, qui consiste en ce qu'il ne se trouve pas arrêté quand il fait ce à quoi le portent sa volonté, son désir, ou son inclination. La crainte et la liberté sont compatibles. Ainsi, quand un homme jette à la mer ce qui lui appartient, par crainte de voir le vaisseau sombrer, il le fait néanmoins tout à fait volontairement, et il lui serait loisible de refuser de le faire si telle était sa volonté. C'est donc l'action d'un homme qui était libre. De même, on paie parfois ses dettes par simple crainte d'aller en prison : un tel acte, étant donné qu'aucun corps n'empêchait le débiteur de garder l'argent, était l'acte d'un homme disposant de sa liberté. D'une façon générale, toutes les actions que les hommes accomplissent dans les Républiques par crainte de la loi sont des actions dont ils avaient la liberté de s'abstenir. La liberté et la nécessité sont compatibles. Elles le sont dans le cas de l'eau, qui n'éprouve pas seulement la liberté, mais aussi la nécessité, de couler avec la pente le long du lit du fleuve ; elles le sont de même dans le cas des actions que les hommes accomplissent volontairement : celles-ci, procédant de leur volonté, procèdent de la liberté ; et néanmoins, étant donné que tout acte d'une volonté humaine, tout désir et toute inclination procèdent de quelque cause, et celle-ci d'une autre, selon une chaîne continue (dont le premier chaînon est dans la main de Dieu, la première de toutes les causes), ces actions procèdent aussi de la nécessité. C'est pourquoi, à celui qui pourrait voir la connexion de ces causes, la nécessité de toutes les actions volontaires des hommes apparaîtrait clairement." Thomas Hobbes, {Léviathan}, ch. XXI (d'après la traduction de François Tricaud). {{{Agrégation interne}}} (15 et 16 février 2001) - {{Première composition (étude ordonnée d'un texte)}} {Durée = 6h30.} Le candidat a le choix entre les deux textes suivants. L'étude ordonnée du texte choisi doit lui permettre, en déterminant ce dont il est question dans le texte, d'en dégager les éléments pour une leçon ou une suite organisée de leçons. 1/ "A présent nous pouvons concevoir ce qu'est une émotion. C'est une transformation du monde. Lorsque les chemins tracés deviennent trop difficiles ou lorsque nous ne voyons pas de chemin, nous ne pouvons plus demeurer dans un monde si urgent et si difficile. Toutes les voies sont barrées, il faut pourtant agir. Alors nous essayons de changer le monde, c'est-à-dire de le vivre comme si les rapports des choses à leurs potentialités n'étaient pas réglés par des processus déterministes mais par la magie. Entendons bien qu'il ne s'agit pas d'un jeu : nous y sommes acculés et nous nous jetons dans cette nouvelle attitude avec toute la force dont nous disposons. Entendons aussi que cet essai n'est pas conscient en tant que tel, car il serait alors l'objet d'une réflexion. Il est avant tout la saisie de rapports nouveaux et d'exigences nouvelles. Simplement la saisie d'un objet étant impossible ou engendrant une tension insoutenable, la conscience le saisit ou tente de le saisir autrement, c'est-à-dire qu'elle se transforme précisément pour transformer l'objet. En soi ce changement dans la direction de la conscience n'a rien d'étrange. Nous trouvons mille exemples de pareilles transformations dans l'activité et dans la perception. Chercher, par exemple, un visage dissimulé dans une gravure devinette ("où est le fusil ?" ) c'est nous conduire perceptivement devant la gravure d'une façon nouvelle, c'est nous comporter en face des branches d'arbres, des poteaux télégraphiques, de l'image comme en face d'un fusil, c'est réaliser les mouvements des yeux que nous ferions en face d'un fusil. Mais nous ne saisissons pas ces mouvements comme tels. A travers eux une intention qui les transcende et dont ils constituent la hylè se dirige sur les arbres et les poteaux qui sont saisis comme "fusils possibles" jusqu'à ce que soudain la perception cristallise et que le fusil apparaisse. Ainsi à travers un changement de l'intention, comme dans un changement de conduite, nous appréhendons un objet nouveau ou un objet ancien d'une façon nouvelle. Il n'est pas besoin de se placer d'abord sur le plan réflexif. La légende de la vignette sert de motivation directement. Nous cherchons le fusil sans quitter le plan irréfléchi. C'est-à-dire qu'un fusil potentiel apparaît, vaguement localisé dans l'image. Il faut concevoir le changement d'intention et de conduite qui caractérise l'émotion sur le même mode. L'impossibilité de trouver une solution au problème, appréhendée objectivement comme une qualité du monde, sert de motivation à la nouvelle conscience irréfléchie qui saisit maintenant le monde autrement et sous un aspect neuf et qui commande une nouvelle conduite -à travers laquelle cet aspect est saisi- et qui sert de hylè à l'intention nouvelle. Mais la conduite émotive n'est pas sur le même plan que les autres conduites, elle n'est pas effective. Elle n'a pas pour fin d'agir réellement sur l'objet en tant que tel par l'entremise de moyens particuliers. Elle cherche à conférer à l'objet par elle-même, et sans le modifier dans sa structure réelle, une autre qualité, une moindre existence, ou une moindre présence (ou une plus grande existence, etc.). En un mot dans l'émotion, c'est le corps qui, dirigé par la conscience, change ses rapports au monde pour que le monde change ses qualités. Si l'émotion est un jeu c'est un jeu auquel nous croyons." Sartre, {Esquisse d'une théorie des émotions} (p.79-82) 2/ "Personne n'ignore qu'il y a deux entrées par où les opinions sont reçues dans l'âme, qui sont ses deux principales puissances, l'entendement et la volonté. La plus naturelle est celle de l'entendement, car on ne devrait jamais consentir qu'aux vérités démontrées ; mais la plus ordinaire, quoique contre la nature, est celle de la volonté ; car tout ce qu'il y a d'hommes sont presque toujours emportés à croire non pas par la preuve, mais par l'agrément. Cette voie est basse, indigne et étrangère : aussi tout le monde la désavoue. Chacun fait profession de ne croire et même de n'aimer que s'il sait le mériter. Je ne parle pas ici des vérités divines, que je n'aurais garde de faire tomber sous l'art de persuader, car elles sont infiniment au dessus de la nature : Dieu seul peut les mettre dans l'âme, et par la manière qu'il lui plaît. Je sais qu'il a voulu qu'elles entrent du cœur dans l'esprit, et non pas de l'esprit dans le c¦ur, pour humilier cette superbe puissance du raisonnement, qui prétend devoir être juge des choses que la volonté choisit, et pour guérir cette volonté infirme, qui s'est toute corrompue par ses sales attachements. Et de là vient qu'au lieu qu'en parlant des choses humaines on dit qu'il faut les connaître avant que de les aimer, ce qui a passé en proverbe, les saints au contraire disent en parlant des choses divines qu'il faut les aimer pour les connaître, et qu'on n'entre dans la vérité que par la charité, dont ils ont fait l'une de leurs plus utiles sentences. En quoi il apparaît que Dieu a établi cet ordre surnaturel, et tout contraire à l'ordre qui devait être naturel aux hommes dans les choses naturelles. Ils ont néanmoins corrompu cet ordre en faisant des choses profanes ce qu'ils devaient faire des choses saintes, parce qu'en effet nous ne croyons presque que ce qui nous plaît. Et de là vient l'éloignement où nous sommes de consentir aux vérités de la religion chrétienne, tout opposée à nos plaisirs. "Dites nous des choses agréables et nous vous écouterons", disaient les Juifs à Moïse ; comme si l'agrément devait régler la créance ! Et c'est pour punir ce désordre par un ordre qui lui est conforme, que Dieu ne verse ses lumières dans les esprits qu'après avoir dompté la rébellion de la volonté par une douceur toute céleste qui la charme et qui l'entraîne. Je ne parle donc que des vérités de notre portée ; et c'est d'elles que je dis que l'esprit et le cœur sont comme les portes par où elles sont reçues dans l'âme, mais que bien peu entrent par l'esprit, au lieu qu'elles y sont introduites en foule par les caprices téméraires de la volonté, sans le conseil du raisonnement." Pascal, {De l'esprit de géométrie et de l'art de persuader}, section 2. - {{Deuxième composition (se rapportant au programme des classes de terminale)}} {Durée = 7h.} Faut-il rompre avec le passé ? {{{CAPES externe}}} { (15 et 16 mars 2001)} - {{Première composition :}} {(durée = 6h)} Le fond et la forme. - {{Seconde composition :}} {(durée = 6h)} Le sujet, réalité ou fonction ? {{{Agrégation externe}}} (3, 4 & 5 avril 2001) - {{Première composition :}} { (durée=7h)} Juger. - {{Deuxième composition (sur thème) :}} {(durée=7h)} La nature est-elle un ensemble de lois ? - {{Troisième composition (étude ordonnée d'un texte) :}} { (durée=6h)} - Socrate: Est-ce que le pieux est aimé par les dieux parce qu'il est pieux, ou est-ce parce qu'il est aimé d'eux qu'il est pieux ? - Euthyphron: Je ne vois pas ce que tu veux dire, Socrate. - S.: J'essaierai en ce cas de m'expliquer plus clairement. Nous disons d'une chose qu'elle est portée et d'une autre qu'elle porte, d'une chose qu'elle est conduite et d'une autre qu'elle conduit, d'une chose qu'elle est vue et d'une autre qu'elle voit. Comprends-tu que toutes les expressions de ce genre diffèrent entre elles et en quoi elles différent ? - E.: J'ai en tout cas l'impression de le comprendre. - S.: Eh bien, comprends-tu aussi qu'il y a ce qui est aimé et, distinct de lui, ce qui aime ? - E.: Comment ne pas le comprendre ? - S.: Dis-moi alors, est-ce que la chose portée est portée parce qu'on la porte, ou est-ce pour une autre raison ? - E.: Non, mais bien pour cette raison. - S.: Et la chose conduite alors, c'est parce qu'on la conduit? Et la chose vue, parce qu'on la voit ? - E.:Tout à fait. - S.: Ce n'est donc pas parce qu'une chose est vue qu'on la voit, mais le contraire: c'est parce qu'on la voit qu'elle est vue. Ce n'est pas non plus parce qu'une chose est conduite qu'on la conduit, mais c'est parce qu'on la conduit qu'elle est conduite. Ce n'est pas non plus parce qu'une chose est portée qu'on la porte, mais c'est parce qu'on la porte qu'elle est portée. N'est-ce pas transparent, Euthyphron, ce que je cherche à exprimer? Voici ce que je veux dire: si une chose devient ou si une chose subit, ce n'est pas parce qu'elle est en train de devenir qu'elle devient, mais c'est parce qu'elle devient qu'elle est en train de devenir. Et ce n'est pas non plus parce qu'elle est en train de subir qu'elle subit, mais c'est parce qu'elle subit qu'elle est en train de subir. N'es-tu pas d'accord qu'il en est ainsi. - E.: Si, je le suis. - S.: Eh bien, ce qui est aimé n'est-il pas une chose ou bien en train de se produire, ou bien en train de subir quelque chose sous l'effet d'une autre ? - E.: Tout à fait. - S.: Il en va donc pour cet exemple comme pour les précédents: ce n'est pas parce qu'il y à une chose aimée qu'elle est aimée par ceux qui l'aiment, mais c'est parce qu'on l'aime qu'elle est une chose aimée. - E.: C'est obligé. - S.: Qu'affirmons-nous dans ce cas, Euthyphron, au sujet du pieux ? N'est-il pas aimé par tous les dieux, d'après ce que tu dis ? - E.: Si. - S.: Est-ce pour cette raison, parce qu'il est pieux, ou est-ce pour une autre raison ? - E.: Non, mais bien pour cette raison. - S.: C'est donc parce qu'il est pieux qu'il est aimé, et non pas parce qu'il est aimé qu'il est pieux ? - E.: Il semblerait. - S.: Mais, par ailleurs, l'aimé-des-dieux est aimé et aimé-des-dieux parce que les dieux l'aiment. - E.: Comment le contester en effet ? - S.: Ce qui est aimé-des-dieux n'est donc pas pieux, Euthyphron, et le pieux n'est pas non plus aimé-des-dieux, comme tu le prétends, mais l'un est différent de l'autre. - E.: Comment cela, Socrate ? - S.: Parce que nous convenons que le pieux est aimé pour cette raison, qu'il est pieux, mais non qu'il est pieux parce qu'il est aimé. N'est-ce pas ? - E.: Si. - S.: Tandis que dans le cas de ce qui est aimé-des-dieux parce qu'il est aimé par les dieux, c'est par le fait d'être aimé, c'est pour cela même qu'il est aimé-des-dieux, mais ce n'est pas parce qu'il est aimé-des-dieux qu'il est aimé. - E.: Tu dis vrai. - S.: Supposons au contraire, mon cher Euthyphron, que l'aimé-des-dieux et le pieux soient identiques. Si le pieux est aimé parce qu'il est pieux, alors l'aimé-des-dieux aussi serait aimé parce qu'il est aimé-des-dieux; mais si l'aimé-des-dieux est aimé-des-dieux parce qu'il est aimé par les dieux, alors le pieux aussi serait pieux parce qu'il est aimé. Mais, en fait, tu vois qu'ils sont opposés, pour la bonne raison qu'ils sont tout à fait différents l'un de l'autre. L'un, en effet, c'est parce qu'il est aimé qu'il est aimable, tandis que l'autre, c'est parce qu'il est aimable, c'est pour cette, raison qu'il est aimé. Alors que tu étais interrogé sur la nature du pieux, Euthyphron, il se peut bien que tu n'aies pas voulu m'en révéler l'essence, et que tu ne m'en aies indiqué qu'un accident, à savoir qu'il arrive à ceci, le pieux, d'être aimé par tous les dieux. Mais ce qu'il est, tu ne me l'as pas encore dit. Platon, {Euthyphron} 10a-11b (traduction Dorion).

Sujets des concours de philosophie 2001

Tous les sujets de philosophie des concours session 2001.

CAPES interne

(12 février 2001)

Composition de philosophie (étude ordonnée d’un texte)

Durée = 6 h.

"Le mot de LIBERTÉ désigne proprement l’absence d’opposition (j’entends par opposition : les obstacles extérieurs au mouvement), et peut être appliqué à des créatures sans raison, ou inanimées, aussi bien qu’aux créatures raisonnables. Si en effet une chose quelconque est liée ou entourée de manière à ne pouvoir se mouvoir, si ce n’est à l’intérieur d’un espace déterminé, délimité par l’opposition de quelque corps extérieur, on dit que cette chose n’a pas la liberté d’aller plus loin. C’est ainsi qu’on a coutume de dire des créatures vivantes, lorsqu’elles sont emprisonnées ou retenues par des murs ou des chaînes, ou de l’eau lorsqu’elle est contenue par des rives ou par un récipient, faute de quoi elle se répandrait dans un espace plus grand, que ces choses n’ont pas la liberté de se mouvoir de la manière dont elles le feraient en l’absence de ces obstacles extérieurs. Cependant, quand l’obstacle au mouvement réside dans la constitution de la chose elle-même, on a coutume de dire qu’il lui manque, non pas la liberté, mais le pouvoir de se mouvoir : c’est le cas lorsqu’une pierre gît immobile ou qu’un homme est cloué au lit par la maladie.

D’après le sens propre (et généralement reçu) du mot, un HOMME LIBRE est celui qui, s’agissant des choses que sa force et son intelligence lui permettent d’accomplir, n’est pas empêché de faire celles qu’il a la volonté de faire. Quand au contraire les mots de libre et de liberté sont appliqués à autre chose que des corps, c’est un abus de langage. En effet, ce qui n’est pas susceptible de mouvement, n’est pas susceptible de se heurter à un obstacle. Donc, quand on dit par exemple : la route est libre, on n’évoque pas par là une liberté qui appartiendrait à la route, mais celle des gens qui y passent sans se trouver arrêtés. Et quand on parle d’un libre don, on n’entend pas parler d’une liberté que posséderait le don lui-même, mais de celle du donateur, qui n’était pas tenu de le donner par l’effet d’une loi ou d’une convention. De même, quand on parle librement, il ne s’agit pas de la liberté de la voix, ou de l’élocution, mais de celle de l’homme qu’aucune loi n’a obligé à parler autrement qu’il n’a fait. Enfin, de l’usage de l’expression libre volonté, on ne saurait inférer aucune liberté de la volonté, du désir, ou de l’inclination, mais seulement la liberté de l’homme, qui consiste en ce qu’il ne se trouve pas arrêté quand il fait ce à quoi le portent sa volonté, son désir, ou son inclination.

La crainte et la liberté sont compatibles. Ainsi, quand un homme jette à la mer ce qui lui appartient, par crainte de voir le vaisseau sombrer, il le fait néanmoins tout à fait volontairement, et il lui serait loisible de refuser de le faire si telle était sa volonté. C’est donc l’action d’un homme qui était libre. De même, on paie parfois ses dettes par simple crainte d’aller en prison : un tel acte, étant donné qu’aucun corps n’empêchait le débiteur de garder l’argent, était l’acte d’un homme disposant de sa liberté. D’une façon générale, toutes les actions que les hommes accomplissent dans les Républiques par crainte de la loi sont des actions dont ils avaient la liberté de s’abstenir.

La liberté et la nécessité sont compatibles. Elles le sont dans le cas de l’eau, qui n’éprouve pas seulement la liberté, mais aussi la nécessité, de couler avec la pente le long du lit du fleuve ; elles le sont de même dans le cas des actions que les hommes accomplissent volontairement : celles-ci, procédant de leur volonté, procèdent de la liberté ; et néanmoins, étant donné que tout acte d’une volonté humaine, tout désir et toute inclination procèdent de quelque cause, et celle-ci d’une autre, selon une chaîne continue (dont le premier chaînon est dans la main de Dieu, la première de toutes les causes), ces actions procèdent aussi de la nécessité. C’est pourquoi, à celui qui pourrait voir la connexion de ces causes, la nécessité de toutes les actions volontaires des hommes apparaîtrait clairement."

Thomas Hobbes, Léviathan, ch. XXI
(d’après la traduction de François Tricaud).

Agrégation interne

(15 et 16 février 2001)

  • Première composition (étude ordonnée d’un texte)

Durée = 6h30.

Le candidat a le choix entre les deux textes suivants.
L’étude ordonnée du texte choisi doit lui permettre, en déterminant ce dont il est question dans le texte, d’en dégager les éléments pour une leçon ou une suite organisée de leçons.

1/ "A présent nous pouvons concevoir ce qu’est une émotion. C’est une transformation du monde. Lorsque les chemins tracés deviennent trop difficiles ou lorsque nous ne voyons pas de chemin, nous ne pouvons plus demeurer dans un monde si urgent et si difficile. Toutes les voies sont barrées, il faut pourtant agir. Alors nous essayons de changer le monde, c’est-à-dire de le vivre comme si les rapports des choses à leurs potentialités n’étaient pas réglés par des processus déterministes mais par la magie. Entendons bien qu’il ne s’agit pas d’un jeu : nous y sommes acculés et nous nous jetons dans cette nouvelle attitude avec toute la force dont nous disposons. Entendons aussi que cet essai n’est pas conscient en tant que tel, car il serait alors l’objet d’une réflexion. Il est avant tout la saisie de rapports nouveaux et d’exigences nouvelles. Simplement la saisie d’un objet étant impossible ou engendrant une tension insoutenable, la conscience le saisit ou tente de le saisir autrement, c’est-à-dire qu’elle se transforme précisément pour transformer l’objet. En soi ce changement dans la direction de la conscience n’a rien d’étrange. Nous trouvons mille exemples de pareilles transformations dans l’activité et dans la perception. Chercher, par exemple, un visage dissimulé dans une gravure devinette ("où est le fusil ?" ) c’est nous conduire perceptivement devant la gravure d’une façon nouvelle, c’est nous comporter en face des branches d’arbres, des poteaux télégraphiques, de l’image comme en face d’un fusil, c’est réaliser les mouvements des yeux que nous ferions en face d’un fusil. Mais nous ne saisissons pas ces mouvements comme tels. A travers eux une intention qui les transcende et dont ils constituent la hylè se dirige sur les arbres et les poteaux qui sont saisis comme "fusils possibles" jusqu’à ce que soudain la perception cristallise et que le fusil apparaisse. Ainsi à travers un changement de l’intention, comme dans un changement de conduite, nous appréhendons un objet nouveau ou un objet ancien d’une façon nouvelle. Il n’est pas besoin de se placer d’abord sur le plan réflexif. La légende de la vignette sert de motivation directement. Nous cherchons le fusil sans quitter le plan irréfléchi. C’est-à-dire qu’un fusil potentiel apparaît, vaguement localisé dans l’image. Il faut concevoir le changement d’intention et de conduite qui caractérise l’émotion sur le même mode. L’impossibilité de trouver une solution au problème, appréhendée objectivement comme une qualité du monde, sert de motivation à la nouvelle conscience irréfléchie qui saisit maintenant le monde autrement et sous un aspect neuf et qui commande une nouvelle conduite -à travers laquelle cet aspect est saisi- et qui sert de hylè à l’intention nouvelle. Mais la conduite émotive n’est pas sur le même plan que les autres conduites, elle n’est pas effective. Elle n’a pas pour fin d’agir réellement sur l’objet en tant que tel par l’entremise de moyens particuliers. Elle cherche à conférer à l’objet par elle-même, et sans le modifier dans sa structure réelle, une autre qualité, une moindre existence, ou une moindre présence (ou une plus grande existence, etc.). En un mot dans l’émotion, c’est le corps qui, dirigé par la conscience, change ses rapports au monde pour que le monde change ses qualités. Si l’émotion est un jeu c’est un jeu auquel nous croyons."

Sartre, Esquisse d’une théorie des émotions (p.79-82)

2/ "Personne n’ignore qu’il y a deux entrées par où les opinions sont reçues dans l’âme, qui sont ses deux principales puissances, l’entendement et la volonté. La plus naturelle est celle de l’entendement, car on ne devrait jamais consentir qu’aux vérités démontrées ; mais la plus ordinaire, quoique contre la nature, est celle de la volonté ; car tout ce qu’il y a d’hommes sont presque toujours emportés à croire non pas par la preuve, mais par l’agrément.

Cette voie est basse, indigne et étrangère : aussi tout le monde la désavoue. Chacun fait profession de ne croire et même de n’aimer que s’il sait le mériter.

Je ne parle pas ici des vérités divines, que je n’aurais garde de faire tomber sous l’art de persuader, car elles sont infiniment au dessus de la nature : Dieu seul peut les mettre dans l’âme, et par la manière qu’il lui plaît. Je sais qu’il a voulu qu’elles entrent du cœur dans l’esprit, et non pas de l’esprit dans le c¦ur, pour humilier cette superbe puissance du raisonnement, qui prétend devoir être juge des choses que la volonté choisit, et pour guérir cette volonté infirme, qui s’est toute corrompue par ses sales attachements. Et de là vient qu’au lieu qu’en parlant des choses humaines on dit qu’il faut les connaître avant que de les aimer, ce qui a passé en proverbe, les saints au contraire disent en parlant des choses divines qu’il faut les aimer pour les connaître, et qu’on n’entre dans la vérité que par la charité, dont ils ont fait l’une de leurs plus utiles sentences.

En quoi il apparaît que Dieu a établi cet ordre surnaturel, et tout contraire à l’ordre qui devait être naturel aux hommes dans les choses naturelles. Ils ont néanmoins corrompu cet ordre en faisant des choses profanes ce qu’ils devaient faire des choses saintes, parce qu’en effet nous ne croyons presque que ce qui nous plaît. Et de là vient l’éloignement où nous sommes de consentir aux vérités de la religion chrétienne, tout opposée à nos plaisirs. "Dites nous des choses agréables et nous vous écouterons", disaient les Juifs à Moïse ; comme si l’agrément devait régler la créance !

Et c’est pour punir ce désordre par un ordre qui lui est conforme, que Dieu ne verse ses lumières dans les esprits qu’après avoir dompté la rébellion de la volonté par une douceur toute céleste qui la charme et qui l’entraîne. Je ne parle donc que des vérités de notre portée ; et c’est d’elles que je dis que l’esprit et le cœur sont comme les portes par où elles sont reçues dans l’âme, mais que bien peu entrent par l’esprit, au lieu qu’elles y sont introduites en foule par les caprices téméraires de la volonté, sans le conseil du raisonnement."

Pascal, De l’esprit de géométrie et de l’art de persuader, section 2.

  • Deuxième composition (se rapportant au programme des classes de terminale)

Durée = 7h.

Faut-il rompre avec le passé ?

CAPES externe

(15 et 16 mars 2001)

  • Première composition :

(durée = 6h)

Le fond et la forme.

  • Seconde composition :

(durée = 6h)

Le sujet, réalité ou fonction ?

Agrégation externe

(3, 4 & 5 avril 2001)

  • Première composition :

(durée=7h)

Juger.

  • Deuxième composition (sur thème) :

(durée=7h)

La nature est-elle un ensemble de lois ?

  • Troisième composition (étude ordonnée d’un texte) :

(durée=6h)

- Socrate : Est-ce que le pieux est aimé par les dieux parce qu’il est pieux, ou est-ce parce qu’il est aimé d’eux qu’il est pieux ?

- Euthyphron : Je ne vois pas ce que tu veux dire, Socrate.

- S. : J’essaierai en ce cas de m’expliquer plus clairement. Nous disons d’une chose qu’elle est portée et d’une autre qu’elle porte, d’une chose qu’elle est conduite et d’une autre qu’elle conduit, d’une chose qu’elle est vue et d’une autre qu’elle voit. Comprends-tu que toutes les expressions de ce genre diffèrent entre elles et en quoi elles différent ?

- E. : J’ai en tout cas l’impression de le comprendre.

- S. : Eh bien, comprends-tu aussi qu’il y a ce qui est aimé et, distinct de lui, ce qui aime ?

- E. : Comment ne pas le comprendre ?

- S. : Dis-moi alors, est-ce que la chose portée est portée parce qu’on la porte, ou est-ce pour une autre raison ?

- E. : Non, mais bien pour cette raison.

- S. : Et la chose conduite alors, c’est parce qu’on la conduit ? Et la chose vue, parce qu’on la voit ?

- E.:Tout à fait.

- S. : Ce n’est donc pas parce qu’une chose est vue qu’on la voit, mais le contraire : c’est parce qu’on la voit qu’elle est vue. Ce n’est pas non plus parce qu’une chose est conduite qu’on la conduit, mais c’est parce qu’on la conduit qu’elle est conduite. Ce n’est pas non plus parce qu’une chose est portée qu’on la porte, mais c’est parce qu’on la porte qu’elle est portée. N’est-ce pas transparent, Euthyphron, ce que je cherche à exprimer ? Voici ce que je veux dire : si une chose devient ou si une chose subit, ce n’est pas parce qu’elle est en train de devenir qu’elle devient, mais c’est parce qu’elle devient qu’elle est en train de devenir. Et ce n’est pas non plus parce qu’elle est en train de subir qu’elle subit, mais c’est parce qu’elle subit qu’elle est en train de subir. N’es-tu pas d’accord qu’il en est ainsi.

- E. : Si, je le suis.

- S. : Eh bien, ce qui est aimé n’est-il pas une chose ou bien en train de se produire, ou bien en train de subir quelque chose sous l’effet d’une autre ?

- E. : Tout à fait.

- S. : Il en va donc pour cet exemple comme pour les précédents : ce n’est pas parce qu’il y à une chose aimée qu’elle est aimée par ceux qui l’aiment, mais c’est parce qu’on l’aime qu’elle est une chose aimée.

- E. : C’est obligé.

- S. : Qu’affirmons-nous dans ce cas, Euthyphron, au sujet du pieux ? N’est-il pas aimé par tous les dieux, d’après ce que tu dis ?

- E. : Si.

- S. : Est-ce pour cette raison, parce qu’il est pieux, ou est-ce pour une autre raison ?

- E. : Non, mais bien pour cette raison.

- S. : C’est donc parce qu’il est pieux qu’il est aimé, et non pas parce qu’il est aimé qu’il est pieux ?

- E. : Il semblerait.

- S. : Mais, par ailleurs, l’aimé-des-dieux est aimé et aimé-des-dieux parce que les dieux l’aiment.

- E. : Comment le contester en effet ?

- S. : Ce qui est aimé-des-dieux n’est donc pas pieux, Euthyphron, et le pieux n’est pas non plus aimé-des-dieux, comme tu le prétends, mais l’un est différent de l’autre.

- E. : Comment cela, Socrate ?

- S. : Parce que nous convenons que le pieux est aimé pour cette raison, qu’il est pieux, mais non qu’il est pieux parce qu’il est aimé. N’est-ce pas ?

- E. : Si.

- S. : Tandis que dans le cas de ce qui est aimé-des-dieux parce qu’il est aimé par les dieux, c’est par le fait d’être aimé, c’est pour cela même qu’il est aimé-des-dieux, mais ce n’est pas parce qu’il est aimé-des-dieux qu’il est aimé.

- E. : Tu dis vrai.

- S. : Supposons au contraire, mon cher Euthyphron, que l’aimé-des-dieux et le pieux soient identiques. Si le pieux est aimé parce qu’il est pieux, alors l’aimé-des-dieux aussi serait aimé parce qu’il est aimé-des-dieux ; mais si l’aimé-des-dieux est aimé-des-dieux parce qu’il est aimé par les dieux, alors le pieux aussi serait pieux parce qu’il est aimé. Mais, en fait, tu vois qu’ils sont opposés, pour la bonne raison qu’ils sont tout à fait différents l’un de l’autre. L’un, en effet, c’est parce qu’il est aimé qu’il est aimable, tandis que l’autre, c’est parce qu’il est aimable, c’est pour cette, raison qu’il est aimé. Alors que tu étais interrogé sur la nature du pieux, Euthyphron, il se peut bien que tu n’aies pas voulu m’en révéler l’essence, et que tu ne m’en aies indiqué qu’un accident, à savoir qu’il arrive à ceci, le pieux, d’être aimé par tous les dieux. Mais ce qu’il est, tu ne me l’as pas encore dit.

Platon, Euthyphron 10a-11b (traduction Dorion).

Mise à jour : 23 décembre 2011