mardi, 27 décembre 2011
http://philosophie.ac-amiens.fr/163-traiter-le-programme-des-series-technologiques-a-partir-du.html
Yannick Bézin, du lycée Léonard de Vinci à Soissons, a conçu son cours de philsophie en STI et le traitement de certaines des notions au programme comme un commentaire du film Matrix.
Chers collègues,
Depuis la rentrée 2003, je mène une expérience pédagogique dans mes classes de STI. J’ai en effet conçu le cours de l’année et le traitement de certaines des notions au programme comme un commentaire du film Matrix, sorti sur les écrans en 1999. J’ai donc consacré (sacrifié pourrais-je dire en raison du faible horaire) deux heures à la projection du film, puis j’ai soumis aux élèves un questionnaire portant sur quelques-uns des thèmes philosophiques abordés par le film. L’exercice consiste à chaque fois à comprendre le sens du film et des questions qu’il ouvre en comparant le scénario avec des textes de philosophes.Mon objectif lors de la mise en place de ce projet était triple :
1- Une captatio benevolentiae.
Les élèves ont un rapport plus fréquent au cinéma qu’aux livres. On pourrait alors me reprocher d’accentuer leur tendance naturelle en utilisant ce médium au quel ils n’ont qu’un rapport d’immédiateté. Cependant il me semble que les questionnaires obligent les élèves à une modification de leur regard. Ils ne sont plus de simples spectateurs passifs, ils sont obligés en passant par la verbalisation, la comparaison et le questionnement de penser ce que le film propose comme récit et comme idées. En reprenant les arguments des auteurs américains dont je me suis inspiré, je répondrais à la question : "pourquoi avoir choisi un film grand public ?" parce que c’est là qu’est notre public : les élèves. Une certaine conception de la philosophie est à l’horizon de cette expérience. Je souhaite montrer à mes élèves que la philosophie n’est pas tant un corpus qu’un certain regard sur le monde et que pour comprendre ce monde le corpus des philosophes peut être utile.2- Une voie pour poser les problèmes.
Le film offre en effet la possibilité de poser et de développer un certain nombre de problèmes relatifs aux notions au programme. J’en propose quelques-uns dans le questionnaire ci-dessous.3- Une introduction aux auteurs classiques.
Les textes apparaissent aux élèves comme beaucoup plus compréhensibles dans la mesure où ils peuvent en inscrire les questionnements et la réflexion dan le cadre de l’analyse d’un récit, d’une aventure. Le film n’est pas un objet en soi mais le moyen d’introduire des auteurs et d’ouvrir des questions. Les contradictions ou les apories, évidentes du film, sont par ailleurs autant de manière de questionner les textes, d’affiner la compréhension des positions philosophiques.Ce film grand public, présentant des scènes de combats et une utilisation innovante des effets spéciaux, peut être un outil pour philosopher particulièrement adapté à un public pour le moins circonspect quant à la philosophie. En espérant que la présentation de mon expérience en suscite d’autres, je serais heureux de connaître vos réactions ou les expériences pédagogiques similaires que vous avez pu mener.
Bibliographie :
The Matrix and philosophy collectif, Willian Irvin éditeur, Open Court, Chicago, 2002.
Matrix, machine philosophique, collectif, Ellipses, paris, 2003. Ce livre est un recueil d’articles d’Alain Badiou, Jean-Pierre Zarader, Thomas Bentouïl, Elie During, Patrice Maniglier et David Rabouin. Il vient juste de paraître et je n’ai pas encore eu le temps de le consulter.
Platon, La République, livre VII : l’Allégorie de la caverne.
SOCRATE (S) - Maintenant, représente-toi notre nature selon qu’elle a été instruite ou ne l’a pas été, sous des traits de ce genre : imagine des hommes dans une demeure souterraine, une caverne, avec une large entrée, ouverte dans toute sa longueur à la lumière : ils sont là les jambes et le cou enchaînés depuis leur enfance, de sorte qu’ils sont immobiles et ne regardent que ce qui est devant eux, leur chaîne les empêchant de tourner la tête. La lumière leur parvient d’un feu qui, loin sur une hauteur, brûle
derrière eux ; et entre le feu et les prisonniers s’élève un chemin en travers duquel imagine qu’un petit mur a été dressé, semblable aux cloisons que des montreurs de marionnettes placent devant le public, au-dessus desquelles ils font voir leurs marionnettes.
GLAUCON (G) - Je vois.
S. - Imagine le long du mur des hommes qui portent toutes sortes d’objets qui dépassent le mur ; des statuettes d’hommes et d’animaux, en pierre, en bois, faits de toutes sortes de matériaux ; parmi ces porteurs, naturellement il y en a qui parlent et d’autres qui se taisent.
G. - Voilà un étrange tableau et d’étranges prisonniers.
S. - Ils nous ressemblent. Penses-tu que de tels hommes aient vu d’eux-mêmes et des uns et des autres autre chose que les ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne qui leur fait face ?
G. - Comment cela se pourrait-il, en effet, s’ils sont forcés de tenir la tête immobile pendant toute leur vie ?
S. - Et pour les objets qui sont portés le long du mur, est-ce qu’il n’en sera pas de même ?
G. - Bien sûr.
S. - Mais, dans ces conditions, s’ils pouvaient se parler les uns aux autres, ne penses-tu pas qu’ils croiraient nommer les objets réels eux-mêmes en nommant ce qu’ils voient ?
G. - Nécessairement.
S. - Et s’il y avait aussi dans la prison un écho que leur renverrait la paroi qui leur fait face ? Chaque fois que l’un de ceux qui se trouvent derrière le mur parlerait, croiraient-ils entendre une autre voix, à ton avis, que celle de l’ombre qui passe devant eux ?
G. - Ma foi non.
S. - Non, de tels hommes ne penseraient absolument pas que la véritable réalité puisse être autre chose que les ombres des objets fabriqués.
G. - De toute nécessité.
S. - Envisage maintenant ce qu’ils ressentiraient à être délivrés de leurs chaînes et à être guéris de leur ignorance, si cela leur arrivait, tout naturellement, comme suit : si l’un d’eux était délivré et forcé soudain de se lever, de tourner le cou, de marcher et de regarder la lumière ; s’il souffrait de faire tous ces mouvements et que, tout ébloui, il fût incapable de regarder les objets dont il voyait auparavant les ombres, que penses-tu qu’il répondrait si on lui disait que jusqu’alors il n’a vu que
des futilités mais que, maintenant, plus près de la réalité et tourné vers des êtres plus réels, il voit plus juste ; lorsque, enfin, en lui montrant chacun des objets qui passent, on l’obligerait à force de questions à dire ce que c’est, ne penses-tu pas qu’il serait embarrassé et trouverait que ce qu’il voyait auparavant était plus véritable que ce qu’on lui montre maintenant ?
G. - Beaucoup plus véritable.
S. - Si on le forçait à regarder la lumière elle-même, ne penses-tu pas qu’il aurait mal aux yeux, qu’il la fuirait pour se retourner vers les choses qu’il peut voir et les trouverait vraiment plus distinctes que celles qu’on lui montre ?
G. - Si.
S. - Mais si on le traînait de force tout au long de la montée rude, escarpée, et qu’on ne le lâchât pas avant de l’avoir tiré dehors à la lumière du soleil, ne penses-tu pas qu’il souffrirait et s’indignerait d’être ainsi traîné ; et que, une fois parvenu à la lumière du jour, les yeux pleins de son éclat, il ne pourrait pas discerner un seul des êtres appelés maintenant véritables ?
G. - Non, du moins pas sur le champ.
S. - Il aurait, je pense, besoin de s’habituer pour être en mesure de voir le monde d’en haut. Ce qu’il regarderait le plus facilement d’abord, ce sont les ombres, puis les reflets des hommes et des autres êtres sur l’eau, et enfin les êtres eux-mêmes. Ensuite il contemplerait plus facilement pendant la nuit les objets célestes et le ciel lui-même - en levant les yeux vers la lumière des étoiles et de la lune - qu’il ne contemplerait, de jour, le soleil et la lumière du soleil.
G. - Certainement.
S. - Finalement, je pense, c’est le soleil, et non pas son image dans les eaux ou ailleurs, mais le soleil lui-même à sa vraie place, qu’il pourrait voir et contempler tel qu’il est.
G. - Nécessairement.
S. - Après cela il en arriverait à cette réflexion, au sujet du soleil, que c’est lui qui produit les saisons et les années, qu’il gouverne tout dans le monde visible, et qu’il est la cause, d’une certaine manière, de tout ce que lui-même et les autres voyaient dans la caverne.
G. - Après cela, il est évident que c’est à cette conclusion qu’il en viendrait.
S. - Mais quoi, se souvenant de son ancienne demeure, de la science qui y est en honneur, de ses compagnons de captivité, ne penses-tu pas qu’il serait heureux de son changement et qu’il plaindrait les autres ?
G. - Certainement.
S. - Et les honneurs et les louanges qu’on pouvait s’y décerner mutuellement, et les récompenses qu’on accordait à qui distinguait avec le plus de précision les ombres qui se présentaient, à qui se rappelait le mieux celles qui avaient l’habitude de passer les premières, les dernières, ou ensemble, et à qui était le plus capable, à partir de ces observations, de présager ce qui devait arriver : crois-tu qu’il les envierait ? Crois-tu qu’il serait jaloux de ceux qui ont acquis honneur et puissance auprès des autres, et ne préférerait-il pas de loin endurer ce que dit Homère : "être un valet de ferme au service d’un paysan pauvre", plutôt que de partager les opinions de là-bas et de vivre comme on y vivait.
G. - Oui, je pense qu’il accepterait de tout endurer plutôt que de vivre comme il vivait.
S. - Et réfléchis à ceci : si un tel homme redescend et se rassied à la même place, est-ce qu’il n’aurait pas les yeux offusqués par l’obscurité en venant brusquement du soleil ?
G. - Si, tout à fait.
S. - Et s’il lui fallait à nouveau donner son jugement sur les ombres et rivaliser avec ces hommes qui ont toujours été enchaînés, au moment où sa vue est trouble avant que ses yeux soient remis - cette ré-accoutumance exigeant un certain délai - ne prêterait-il pas à rire, ne dirait-on pas à son propos que pour être monté là-haut, il en est revenu les yeux gâtés et qu’il ne vaut même pas la peine d’essayer d’y monter ; et celui qui s’aviserait de les délier et de les emmener là-haut, celui-là s’ils
pouvaient s’en emparer et le tuer, ne le tueraient-ils pas ?
G. - Certainement.
Questions d’aide à la lecture :
Descartes, Méditations métaphysiques, première méditation :
"Tout ce que j’ai reçu [=accepté] jusqu’à présent pour le plus vrai et assuré, je l’ai appris des sens [=nos cinq sens : le toucher, l’ouïe, l’odorat, la vue et le goût], ou par les sens : or j’ai quelquefois éprouvé que ces sens étaient trompeurs, et il est de la prudence de ne se fier jamais entièrement à ceux qui nous ont une fois trompés.
Mais, encore que les sens nous trompent quelquefois, touchant les choses peu sensibles et fort éloignées, il s’en rencontre peut-être beaucoup d’autres, desquelles on ne peut pas raisonnablement douter, quoique nous les connaissions par leur moyen : par exemple, que je sois ici, assis auprès du feu, vêtu d’une robe de chambre, ayant ce papier entre les mains, et autres choses de cette nature. Et comment est-ce que je pourrais nier que ces mains et ce corps-ci soient à moi ? si ce n’est peut-être que je me compare à ces insensés, de qui le cerveau est tellement troublé [...], qu’ils assurent constamment qu’ils sont des rois, lorsqu’ils sont très pauvres ; qu’ils sont vêtus d’or et de pourpre, lorsqu’ils sont tout nus ; ou s’imaginent être des cruches, ou avoir un corps de verre. Mais quoi ? ce sont des fous, et je ne serais pas moins extravagant, si je me réglais sur leurs exemples.
Toutefois [...] j’ai coutume de dormir et de me représenter en mes songes les mêmes choses, ou quelquefois de moins vraisemblables, que ces insensés, lorsqu’ils veillent. Combien de fois m’est il arrivé de songer, la nuit, que j’étais en ce lieu, que j’étais habillé, que j’étais auprès du feu, quoique je fusse tout nu dedans mon lit ? Il me semble bien à présent que ce n’est point avec des yeux endormis que je regarde ce papier ; que cette tête que je remue n’est point assoupie ; que c’est avec dessein et de propos délibéré [=volontairement] que j’étends cette main, et que je la sens : ce qui arrive dans le sommeil ne semble point si clair ni si distinct que tout ceci. Mais, en y pensant soigneusement, je me ressouviens d’avoir été souvent trompé, lorsque je dormais, par de semblables illusions. Et m’arrêtant sur cette pensée, je vois si manifestement qu’il n’y a point d’indices concluants, ni de marques assez certaines par où l’on puisse distinguer nettement la veille d’avec le sommeil, que j’en suis tout étonné ; et mon étonnement est tel, qu’il est presque capable de me persuader que je dors."
Questions d’aide à la lecture :
Descartes, Discours de la méthode, quatrième partie :
"Mais aussitôt après je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi qui le pensais fusse quelque chose ; et remarquant que cette vérité, je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler[...]"
Quelle est la certitude à laquelle Descartes aboutit ?
"Calliclès : [...] Veux-tu savoir ce que sont le beau et le juste selon la nature ? Hé bien, je vais te le dire franchement ! Voici, si l’on veut vire comme il faut, on doit laisser aller ses propres désirs, si grands soient-ils, et ne pas les réprimer. Au contraire, il faut être capable de mettre son courage et son intelligence au service de si grands désirs et de les assouvir avec tout ce qu’ils peuvent désirer. [...]
Socrate : Mais, tout de même, la vie dont tu parles, c’est une vie terrible ! [..] des hommes qui s’y connaissent [...] soutiennent [...] qu’il existe un lieu dans l’âme, là où sont nos passions, un lieu ainsi fait qu’il se laisse ballotter d’un côté et de l’autre. Eh bien, ce lieu de l’âme, un homme subtil [...] en a modifié le nom. [...] En effet chez les hommes qui ne réfléchissent pas, il dit que ce lieu de l’âme, siège des désirs, est comme une passoire percée, parce qu’il ne peut rien contrôler ni rien retenir - il exprime ainsi l’impossibilité que ce lieu soit jamais rempli.
Tu vois donc que c’est tout le contraire de ce que tu dis Calliclès. D’ailleurs, un sage fait remarquer que, de tous les êtres qui habitent l’Hadès, le monde des morts, [...] les plus malheureux seraient ceux qui [...] devraient à l’aide d’une écumoire apporter de l’eau dans une passoire percée. Avec cette écumoire, toujours d’après ce que disait cet homme qui m’a raconté tout cela, c’est l’âme que ce sage voulait désigner.
Ce que je viens de te dire est sans doute étrange ; mais pourtant, cela montre bien ce que je cherche à te faire comprendre. Je veux te convaincre [..] de changer d’avis et de choisir au lieu d’une vie déréglée, que rien ne comble, une vie d’ordre, qui est contente de ce qu’elle a et qui s’en satisfait."
Questions d’aide à la lecture :
"Certes, j’accorderai volontiers que les choses humaines en iraient bien mieux, s’il était également au pouvoir de l’homme et de se taire et de parler ; mais l’expérience est là pour nous enseigner, malheureusement trop bien, qu’il n’y a rien que l’homme gouverne moins que sa langue, et que la chose dont il est le moins capable, c’est de modérer ses appétits ; d’où il arrive que la plupart se persuadent que nous ne sommes libres qu’à l’égard des choses que nous désirons faiblement, par la raison que l’appétit qui nous porte vers ces choses peut aisément être comprimé par le souvenir d’un autre objet que notre mémoire nous rappelle fréquemment ; et ils croient au contraire que nous ne sommes point libres à l’égard des choses que nous désirons avec force et que le souvenir d’un autre objet ne peut nous faire cesser d’aimer. Mais il est indubitable que rien n’empêcherait ces personnes de croire que nos actions sont toujours libres, si elles ne savaient pas par expérience qu’il nous arrive souvent de faire telle action dont nous nous repentons ensuite, et souvent aussi, quand nous sommes agités par des passions contraires, de voir le meilleur et de faire le pire. C’est ainsi que l’enfant s’imagine qu’il désire librement le lait qui le nourrit ; s’il s’irrite, il se croit libre de chercher la vengeance ; s’il a peur, libre de s’enfuir. C’est encore ainsi que l’homme ivre est persuadé qu’il prononce en pleine liberté d’esprit ces mêmes paroles qu’il voudrait bien retirer ensuite, quand il est redevenu lui-même ; que l’homme en délire, le bavard, l’enfant et autres personnes de cette espèce sont convaincues qu’elles parlent d’après une libre décision de leur âme, tandis qu’il est certain qu’elles ne peuvent contenir l’élan de leur parole. Ainsi donc, l’expérience et la raison sont d’accord pour établir que les hommes ne se croient libres qu’à cause qu’ils ont conscience de leurs actions et non des causes qui les déterminent [.]."
Questions d’aide à la lecture :
"Il y a eu un temps où les dieux existaient seuls, et où il n’y avait encore aucun être mortel. Lorsque le temps destiné à la création de ces derniers fut venu, les dieux les formèrent dans les entrailles de la terre, en mêlant ensemble la terre et le feu et les deux autres éléments qui entrent dans la composition de ces deux premiers éléments. Mais avant que de les laisser paraître à la lumière, ils ordonnèrent à Prométhée et à Épiméthée (1) de les orner et de leur distribuer toutes les qualités convenables. Épiméthée pria Prométhée de permettre qu’il fît seul cette distribution, à condition, dit-il, que tu l’examineras quand je l’aurai faite. Prométhée y consentit. Voilà donc Épiméthée en fonction. Il distribue aux uns la force sans la vitesse, et aux autres la vitesse sans la force. Il donne des armes naturelles à ceux-ci ; et à ceux-là il leur refuse des armes, mais il leur donne d’autres moyens de se conserver et de se garantir. À ceux à qui il donne la petitesse de corps, il assigne les antres, les souterrains pour retraite, ou, en leur donnant des ailes, il leur montre leur asile dans les cieux. À ceux à qui il donne la grandeur en partage, cette grandeur suffit à leur conservation. Il acheva ainsi sa distribution avec le plus d’égalité qu’il lui fut possible, prenant bien garde qu’aucune de ces espèces ne pût être détruite. Après leur avoir donné tous les moyens de se garantir de la violence les uns des autres, il eut soin de les munir contre les injures de l’air et contre les rigueurs des saisons. Pour cela, il les revêtit de poils épais et de peaux serrées très capables de les défendre contre les gelées de l’hiver et contre les ardeurs de l’été, et qui, lorsqu’ils ont besoin de dormir, leur servent de couvertures. [...] Cela fait, il leur assigna à chacun leur nourriture : à ceux-là les herbes, à ceux-ci les fruits des arbres, à d’autres les racines, et il y eut telle espèce à qui il permit de se nourrir de la chair des autres animaux ; mais, pour cette espèce, il la rendit peu féconde, et accorda une grande fécondité à celles qui devaient la nourrir, afin qu’elle se conservât.
Mais comme Épiméthée n’était pas fort prudent, il ne prit pas garde qu’enfin il avait employé toutes les qualités privées de raison, et qu’il lui restait encore à pourvoir l’homme. Il ne savait donc quel parti prendre, lorsque Prométhée arriva pour voir le partage qu’il avait fait. Il vit tous les animaux parfaitement partagés, mais il trouva l’homme tout nu, n’ayant ni armes, ni chaussures, ni couvertures. Déjà paraissait le jour destiné pour tirer l’homme du sein de la terre et pour le produire à la lumière du soleil ; et Prométhée ne savait que faire pour donner à l’homme les moyens de se conserver. Enfin voici l’expédient dont il s’avisa : il déroba à Héphaïstos et à Athéna (2) le secret des arts et le feu (car sans le feu cette science ne pouvait être possédée : elle aurait été inutile), et il en fit présent à l’homme. Voilà de quelle manière l’homme reçut la science de conserver sa vie ; mais il ne reçut pas la connaissance de la politique, car la politique était chez Zeus, et Prométhée n’avait plus le temps d’entrer dans le sanctuaire de ce maître des dieux, dont l’entrée était défendue par des gardes terribles. Mais, comme je viens de la dire, il se glissa furtivement dans l’atelier où Héphaïstos et Athéna travaillaient et, ayant volé à ce dieu son art qui s’exerce par le feu, et à cette déesse le sien, il les donna à l’homme, qui par ce moyen se trouva en état de se fournir de toutes les choses nécessaires à la vie."
(1) Étymologiquement, Prométhée est celui « qui réfléchit avant », Épiméthée celui « qui réfléchit après ».
(2) Héphaïstos et Athéna sont les dieux des arts utiles à la vie : Héphaïstos (dieu du feu) fournit les instruments, Athéna (déesse de l’intelligence) la connaissance pratique.
Questions d’aide à la lecture :
"Mais, sitôt que j’ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que, commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j’ai remarqué jusqu’où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s’est servi jusqu’à présent, j’ai cru que je ne pouvais les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer autant qu’il est en nous le bien général de tous les hommes : car elles m’ont fait voir qu’il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie ; et qu’au lieu de cette philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices, qui feraient qu’on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie ; car même l’esprit dépend si fort du tempérament et de la disposition des organes du corps, que, s’il est possible de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu’ils n’ont été jusqu’ici, je crois que c’est dans la médecine qu’on doit le chercher."
Questions d’aide à la lecture :
Annexe :
Textes philosophiques disponibles sur internet à propos de Matrix