vendredi, 23 décembre 2011
http://philosophie.ac-amiens.fr/142-sujets-des-concours-de-philosophie-2004.html
Tous les sujets de philosophie des concours session 2004.
9 février 2004
Composition de philosophie.
Durée = 6 h
Le monde de la perception.
4 et 5 février 2004
Durée = 6 h 30.
Le candidat a le choix entre les deux textes suivants.
Texte n° 1
L’histoire n’est rien que la succession des générations, qui viennent l’une après l’autre et dont chacune exploite les matériaux, les capitaux, les forces productives légués par toutes les générations précédentes ; par conséquent, chacune d’elles continue, d’une part, l’activité traditionnelle dans des circonstances entièrement transformées et, d’autre part, elle modifie les anciennes circonstances par une activité entièrement transformée. Grâce à des artifices spéculatifs, on peut nous faire croire que l’histoire postérieure est le but de l’histoire antérieure. Ainsi, par exemple, on attribue à la découverte de l’Amérique un but, celui d’avoir permis le déclenchement de la Révolution française. Grâce à quoi l’histoire se voit assigner des buts particuliers et devient une "personne parmi des personnes" (telles que "Conscience de soi, Critique, Unique", etc.) tandis que ce que l’on désigne par les termes "destination", "but", "germe", "Idée" de l’histoire antérieure n’est rien d’autre qu’une abstraction de l’histoire postérieure, une abstraction de l’influence active que l’histoire antérieure exerce sur l’histoire postérieure.
Or, plus les diverses sphères qui agissent les unes sur les autres s’étendent au cours de cette évolution, plus l’isolement primitif des diverses nationalités est détruit par le mode de production développé, par la circulation et par la division du travail qui en résulte spontanément entre les diverses nations et plus l’histoire se transforme en histoire mondiale ; aussi, lorsqu’on invente en Angleterre, par exemple, une machine qui enlève leur pain à d’innombrables travailleurs dans l’Inde et en Chine, en bouleversant tout le mode d’existence de ces empires, cette invention devient un fait historique mondial ; de même le sucre et le café ont démontré leur importance historique mondiale au XIXe siècle, du fait que la pénurie de ces produits, par suite du blocus continental de Napoléon, incita les Allemands à se soulever contre ce dernier et devint ainsi la base réelle des glorieuses guerres de libération de 1813. Il s’ensuit que ce changement de l’histoire en histoire mondiale n’est nullement un simple acte abstrait de la "Conscience de soi", de l’ "Esprit du monde", ou de quelque autre fantôme métaphysique, mais un acte totalement matériel, empiriquement démontrable, un acte dont n’importe quel individu, tel qu’il mange, boit et s’habille, fournit la preuve.
Karl Marx et Friedrich Engels, L’idéologie allemande, trad. M. Rubel
modifiée, in Karl Marx, oeuvres, III, Paris, Gallimard, 1982, p.1069-1070.
Texte n°2
Il n’est pas facile de caractériser une discipline comme l’histoire des idées : objet incertain, frontières mal dessinées, méthodes empruntées de droite et de gauche, démarche sans rectitude ni fixité. Il semble cependant qu’on puisse lui reconnaître deux rôles. D’une part, elle raconte l’histoire des à-côtés et des marges. Non point l’histoire des sciences, mais celle de ces connaissances imparfaites, mal fondées, qui n’ont jamais pu atteindre tout au long d’une vie obstinée la forme de la scientificité (histoire de l’alchimie plutôt que de la chimie, des esprits animaux ou de la phrénologie plutôt que de la physiologie, histoire des thèmes atomistiques et non de la physique). Histoire de ces philosophies d’ombre qui hantent les littératures, l’art, les sciences, le droit, la morale et jusqu’à la vie quotidienne des hommes ; histoire de ces thématismes séculaires qui ne se sont jamais cristallisés dans un système rigoureux et individuel, mais qui ont formé la philosophie spontanée de ceux qui ne philosophaient pas. [...] Ainsi définie - mais on voit tout de suite combien il est difficile de lui fixer des limites précises - l’histoire des idées s’adresse à toute cette insidieuse pensée, à tout ce jeu de représentations qui courent anonymement entre les hommes ; dans l’interstice des grands monuments discursifs, elle fait apparaître le sol friable sur lequel ils reposent. C’est la discipline des langages flottants, des œuvres informes, des thèmes non liés. Analyse des opinions plus que du savoir, des erreurs plus que de la vérité, non des formes de pensée mais des types de mentalité.
Mais d’autre part l’histoire des idées se donne pour tâche de traverser les disciplines existantes, de les traiter et de les réinterpréter. Elle constitue alors, plutôt qu’un domaine marginal, un style d’analyse, une mise en perspective. Elle prend en charge le champ historique des sciences, des littératures et des philosophies : mais elle y décrit les connaissances qui ont servi de fond empirique et non réfléchi à des formalisations ultérieures ; elle essaie de retrouver l’expérience immédiate que le discours transcrit ; elle suit la genèse qui, à partir des représentations reçues ou acquises, va donner naissance à des systèmes et à des oeuvres. Elle montre en revanche comment peu à peu ces grandes figures ainsi constituées se décomposent : comment les thèmes se dénouent, poursuivent leur vie isolée, tombent en désuétude ou se recomposent sur un mode nouveau. L’histoire des idées est alors la discipline des commencements et des fins, la description des continuités obscures et des retours, la reconstitution des développements dans la forme linéaire de l’histoire. Mais elle peut aussi et par là même décrire, d’un domaine à l’autre, tout le jeu des échanges et des intermédiaires : elle montre comment le savoir scientifique se diffuse, donne lieu à des concepts philosophiques, et prend forme éventuellement dans des œuvres littéraires ; elle montre comment des problèmes, des notions, des thèmes peuvent émigrer du champ philosophique où ils ont été formulés vers des discours scientifiques ou politiques ; elle met en rapport des œuvres avec des institutions, des habitudes ou des comportements sociaux, des techniques, des besoins et des pratiques muettes ; elle essaie de faire revivre les formes les plus élaborées de discours dans le paysage concret, dans le milieu de croissance et de développement qui les a vues naître. Elle devient alors la discipline des interférences, la description des cercles concentriques qui entourent les oeuvres, les soulignent, les relient entre elles et les insèrent dans tout ce qui n’est pas elles.
Michel Foucault, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p.179-180.
Durée = 7 heures
Le langage est-il un instrument ?
mars 2004
Durée = 6h
Y a-t-il un Bien suprême ?
Durée = 6h
Il n’y a personne qui ne convienne que tous les hommes sont capables de connaître la vérité ; et les philosophes même les moins éclairés, demeurent d’accord que l’homme participe à une certaine Raison qu’ils ne déterminent pas. C’est pourquoi ils le définissent animal RATIONIS particeps (1) : car il n’y a personne qui ne sache du moins confusément, que la différence essentielle de l’homme consiste dans l’union nécessaire qu’il a avec la Raison universelle, quoiqu’on ne sache pas d’ordinaire quel est celui qui renferme cette raison, et qu’on se mette fort peu en peine de le découvrir. Je vois, par exemple, que deux fois deux font quatre, et qu’il faut préférer son ami à son chien ; et je suis certain qu’il n’y a point d’homme au monde qui ne le puisse voir aussi bien que moi. Or je ne vois point ces vérités dans l’esprit des autres, comme les autres ne les voient point dans le mien. Il est donc nécessaire qu’il y ait une Raison universelle qui m’éclaire, et tout ce qu’il y a d’intelligences. Car si la raison que je consulte, n’était pas la même qui répond aux Chinois, il est évident que je ne pourrais pas être aussi assuré que je le suis, que les Chinois voient les mêmes vérités que je vois. Ainsi la raison que nous consultons quand nous rentrons dans nous-mêmes, est une raison universelle. Je dis : quand nous rentrons dans nous-mêmes, car je ne parle pas ici de la raison que suit un homme passionné. Lorsqu’un homme préfère la vie de son cheval à celle de son cocher, il a ses raisons, mais ce sont des raisons particulières dont tout homme raisonnable a horreur. Ce sont des raisons qui dans le fond ne sont pas raisonnables, parce qu’elles ne sont pas conformes à la souveraine raison, ou à la raison universelle que tous les hommes consultent.
Je suis certain que les idées des choses sont immuables, et que les vérités et les lois éternelles sont nécessaires : il est impossible qu’elles ne soient pas telles qu’elles sont. or je ne vois en moi rien d’immuable ni de nécessaire ; je puis n’être point, ou n’être pas tel que je suis : il peut y avoir des esprits qui ne me ressemblent pas ; et cependant je suis certain qu’il ne peut y avoir d’esprits qui voient des vérités et des lois différentes de celles que je vois : car tout esprit voit nécessairement que 2 fois 2 font 4, et qu’il faut préférer son ami à son chien. Il faut donc conclure que la raison que tous les esprits consultent, est une Raison immuable et nécessaire.
Nicolas Malebranche, De la recherche de la vérité, Xe éclaircissement.
avril 2004
Durée=7h
L’égalité des citoyens.
Durée=7h
Penser requiert-il un corps ?
Durée=6h
Vivre se définit, dans le cas des animaux par la puissance de la sensation, et chez les hommes par celles de la sensation ou de la pensée ; or la puissance fait remonter à l’acte, et ce qu’est principalement une chose réside dans l’acte. Il semble donc bien que vivre soit principalement sentir ou penser. Mais vivre fait partie des choses bonnes et agréables en elles-mêmes, puisque c’est quelque chose de défini, et que le défini relève de la nature du bien ; or ce qui est bon par nature l’est aussi pour l’homme de bien, et par suite apparaît agréable à tous les hommes. Certes il ne faut pas considérer une vie dépravée et corrompue, ni une vie qui s’écoule dans la peine, car une telle vie est indéfinie, comme les attributs qui y sont attachés — dans les pages qui suivent, cette question de la peine sera clarifiée davantage — .
Si vivre est en soi une chose bonne et agréable (comme c’est bien ce qui semble, à en juger par le fait que tous les hommes le désirent, et plus encore les hommes de bien et ceux qui sont heureux, car pour ces derniers l’existence est préférable, au plus haut degré, et la vie qu’ils mènent est la plus parfaitement heureuse), et si celui qui voit sent qu’il voit, celui qui entend, qu’il entend, celui qui marche, qu’il marche, et si dans les autres cas il y a pareillement quelque chose qui sent que nous sommes actifs, de sorte que nous sentions que nous sentons, et que nous pensions que nous pensons, et si sentir que nous sentons ou pensons est sentir que nous sommes (puisque être, avons-nous dit, c’est sentir ou penser), et si sentir qu’on vit est au nombre des plaisirs agréables par eux-mêmes (car la vie est quelque chose de bon par nature, et sentir que nous possédons le bon en nous-mêmes est chose agréable) et si vivre est préférable, et cela surtout pour les bons, parce que être est pour eux une chose bonne et agréable (car le sentiment commun de ce qui est bon par soi leur est une joie), l’homme vertueux est à l’égard de son ami comme il est à l’égard de lui-même (son ami étant un autre lui-même) ; dans ces conditions, de même que pour chacun son propre être est préférable, de même, ou à peu de chose près, l’être de son ami.
Or nous avons dit qu’être est préférable en raison du sentiment qu’on a de sa propre bonté, et qu’un tel sentiment est agréable par lui-même. L’homme de bien a besoin, par conséquent, de sentir que son ami est, en commun avec lui, ce qui ne saurait se réaliser qu’en vivant en commun, et en mettant en commun discussions et réflexions : car c’est en ce sens-là, semblera-t-il, qu’on doit parler de vie en commun quand il s’agit des hommes, et il n’en est pas pour eux comme pour les bestiaux où elle consiste seulement à paître dans le même pré.
Aristote, Éthique à Nicomaque, 1170 a 16 - 1170 b 14
(Nouvelle traduction, inédite)